Chapitre 3.6

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Le Loft de Faïz était épuré. De grands tableaux de style réaliste et abstrait, décoraient les murs habillés de blanc. La cuisine ouverte au milieu de la salle à manger la rendait accessible de tout côté. De plus, l'extérieur semblait s'inviter à l'intérieur du loft grâce à la vue panoramique à travers la grande baie vitrée. La décoration industrielle donnait un rendu qui allait tout à fait à la personnalité du personnage. Le plancher, de couleur sombre et brute, renvoyait l'image d'un lieu atypique, plein de charme. Les pierres apparentes ainsi que les poutres en bois optimisaient la profondeur de cet incroyable volume. Je pensai à Rachelle malgré moi avec un petit pincement de jalousie. Je l'enviai de connaître les moindres recoins de cet endroit. Ray, incrédule, avait la tête posée sur son avant-bras contre la vitre. Nous nous trouvions au dernier étage de l'immeuble qui avait pour vue tout Los Angeles.

J'eus l'impression d'être comme suspendue au-dessus de cette ville à la vue chaotique, ce soir-là. À l'extérieur, les sirènes des camions de pompier et de police résonnaient de partout. La circulation était complètement bouchée sur plusieurs dizaines de kilomètres et les éclairs déchiraient un ciel noir d'encre. Victoria venait de s'endormir dans l'immense canapé du séjour, vraisemblablement épuisée par toutes ces émotions.

Ma montre m'indiqua qu'il était deux heures du matin et Faïz n'avait toujours pas rappelé. Je m'arrachai à la contemplation de la vue pour m'adresser à Ray.

— Merci, lui murmurai-je, sincère.

J'avais l'impression que cet homme si agaçant au premier abord aurait pu donner sa vie pour nous ce soir. Il me fixa comme s'il essayait de déchiffrer quelque chose d'impossible en moi.

— La famille Mattew c'est ma famille, me confia-t-il d'une voix morose tout en regardant de nouveau à l'extérieur.

— Faïz est-il toujours comme ça ? Je veux dire... dans une retenue perpétuelle avec les autres ?

Un petit sourire lui échappa sans qu'il ne puisse le retenir, il soupira un grand coup avant de répondre.

— Oui, il te faudra toujours deviner ce qu'il pense, car il ne te dira rien. Il a un contrôle absolu sur tout ce qui l'entoure, mais sa vie n'est pas facile, ce qui se comprend alors.

Ses traits se crispèrent, je compris que les secrets qui entouraient Faïz ainsi que sa famille avaient repris le dessus. Ray semblait les connaître et j'eus l'impression d'être mise à l'écart, une fois de plus.

— Où as-tu appris à danser ? changea brusquement ce dernier de sujet.

— Avec mes amis. Dans le quartier populaire d'où je viens, la musique prend une place très importante. Ça nous permet de nous évader d'un quotidien souvent difficile. Les études nous donnent une chance de réussir dans la vie et de nous en sortir.

— Et l'anglais ? Tu as appris à le parler à l'école ?

— Non, avec Hitchcock !

Je souris à ce moment, en repensant tendrement à mon paternel.

— Mon père, continuai-je, est un grand fan d'Alfred Hitchcock. J'avoue que c'est le maître du suspense dans son domaine, ceci étant que chaque film que nous regardions ensemble devait obligatoirement être visionné dans sa version originale. Mon père mettait un point d'honneur à ce que ceci soit respecté pour chacun de ses films.

— Fenêtre sur cours ? La main au collet ou vertigo ? Lequel est ton préféré ?

Je fus surprise que Ray connaisse quelques œuvres de ce célèbre réalisateur qui n'était pas du tout de notre époque et dont les premiers films avaient été réalisés en noir et blanc. Je commençai à bien l'apprécier au fil de notre conversation.

— La mort aux trousses et les oiseaux sont mes préférés, avouai-je, mais ils sont tous époustouflants.

— Et ton père, que fait-il dans la vie ? enchaîna Ray.

— Il est militaire de carrière, très souvent en déplacement, d'où son sens de la discipline et sa passion pour les sports de combat. Toute petite, dès l'âge de quatre ans, il m'a appris les premiers rudiments à connaître de self-control et bien d'autre technique depuis, mais je n'aime pas la violence et préfère de loin la danse et la musique à son grand désespoir.

Je m'étonnai de me confier aussi facilement à quelqu'un dont je ne connaissais rien, sûrement à cause de la situation actuelle que nous vivions. Ray réduit d'un pas la distance entre nous, il me remit une mèche qui s'était échappée derrière mon oreille. Ce geste sembla naturel pour lui, il n'avait aucune arrière-pensée.

— Ton travail à la cafétéria, ça fait partie de ta porte de sortie ?

Je restai stupéfaite de constater qu'il en connaissait bien plus sur moi que je l'aurais pensé. Je me demandai alors qui l'en avait informé. Je reculai d'un pas, afin de mettre un peu de distance entre nous et d'éviter de l'induire en erreur sur cette situation. Il secoua sa tête avec un sourire espiègle, j'en conclus qu'il n'avait pas l'habitude de se faire éconduire.

— Excuse-moi Zoé, je ne voulais pas te mettre dans l'embarras. Je sais très bien que je ne peux pas t'approcher. Ça m'embêterait de me brouiller avec certaines personnes, se justifia-t-il d'une voix pleine de sous-entendus.

J'étais sur le point de lui demander des explications, mais je me retins en comprenant à son attitude que le sujet était clos. Ray préféra une fois encore changer de conversation et nous restâmes ainsi un long moment, à nous raconter nos bouts de vies respectives. C'est comme ça qu'il vint à me parler au détour de notre discussion de son enfance difficile, de foyers en famille d'accueil et de son amitié avec Faïz. Tous deux s'étaient rencontrés à l'âge de huit ans, lorsque la classe du fils Mattew correspondait avec une autre classe d'un établissement issu d'un quartier défavorisé de Los Angeles. Ils échangèrent ensemble durant toute une année scolaire et après bon nombre de lettres écrites et envoyées, les deux classes des deux écoles avaient décidé d'organiser une journée de rencontre. Faïz et Ray devinrent alors inséparables et leur amitié fraternelle durait depuis tout ce temps. J'écoutai Ray, suspendue à ses lèvres, me narrant des anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres, jusqu'au petit matin. Lily et Charles l'avaient quasiment adopté et le considéraient comme leur fils, celui-ci avait d'ailleurs vécu chez les Mattew jusqu'à très récemment.

L'agitation en bas retombait doucement, la ville leva son veto et nous pûmes de nouveau circuler où bon nous semblait. Ray entreprit de nous reconduire à Elora. L'information de ces attentats avait déjà dû faire le tour du monde. J'espérai pouvoir trouver les bons mots, quand nous serions rentrées, pour rassurer mon père et ma grand-mère et priai déjà pour qu'il ne m'ordonne pas de prendre le premier avion pour rentrer à Paris. Durant cette première semaine, j'avais l'impression d'avoir vécu plus de choses que le reste de ma vie avec un éventail de sentiments différents. N'arrivant plus à lutter contre le sommeil, je m'endormis sur la route qui nous ramenait à la maison.


Dark Faïz : Tout héros a sa légende [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant