Chapitre 10.3

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— Nous sommes en ce moment sur les thérapies innovantes et premiers au niveau mondial, continua-t-elle sur la présentation de cette industrie.

Chloé paraissait passionnée par son travail. Nous étions ensemble depuis près de deux heures et je m'appliquai à me dépêcher d'écrire tout ce qu'elle disait sans me perdre en route. Faïz m'avait avertie, ce matin, dans la voiture. Il n'y avait pas de place pour la moindre inapplication au sein de Trac-Word. Personne ne viendrait me tenir la main.

— Peut-on parler d'une consécration de la médecine dégénérative dans le monde ? la coupai-je au milieu son débit de parole.

— C'est un marché prometteur, Trac-Word doit se pencher dessus. Pour l'instant, nous sommes seulement au stade des essais.

— Combien d'essais, jusqu'ici, avez-vous réalisés pour ces projets thérapeutiques ?

— Près de onze mille sur des patients. Soixante pour cent sont issus de cellules d'autres donneurs.

Chloé se leva de sa chaise.

— Que dirais-tu de faire une petite pause et d'aller prendre un café ? me proposa-t-elle.

― Oui, ça ne me ferait pas de mal, répondis-je sans hésiter.

— Allons à la cafétéria qui se trouve au premier. Andy et James ont sûrement dû être retenus au laboratoire de l'autre côté de Manhattan, mais ils ne devraient plus tarder.

Elle prit ses affaires et je l'imitai. Trac-Word ressemblait à une véritable fourmilière à cette heure-ci de la journée. Le va-et-vient des personnes était constant à l'extérieur des bureaux.

— Rappelle-moi, tu travailles pour quel magazine ?

— Je suis en stage chez « So Home News ».

— C'est une première pour nous. Nous avons plus l'habitude de gérer le département presse avec des magazines ou des journaux spécialisés dans le domaine de la santé.

En sortant de l'ascenseur, j'essayai de suivre Chloé, mais sa démarche très rapide me força presque à faire un footing.

— Oui c'est ce que j'ai cru comprendre quand Faïz...

— Faïz ? s'étonna-t-elle, ça fait bizarre d'entendre quelqu'un appeler notre future PDG par son prénom, vous devez être... très proches.

Elle s'arrêta net devant la cafétéria et se tourna vers moi. Cette dernière me dévisagea attentivement. Essoufflée, j'essayai de retrouver une respiration régulière.

— Non, ce n'est pas... lui et moi... je suis en famille d'accueil chez les Mattew, bafouillai-je.

Je ne parus pas convaincante, vu l'air amusé que prit Chloé face à mes propos désordonnés. Elle se pencha alors vers moi.

— Zoé, je ne te cache pas qu'ici, monsieur Mattew est l'homme le plus convoité. C'est le fantasme de toute femme, m'avoua-t-elle à voix basse.

Celle-ci reprit aussitôt son sérieux et poussa enfin les portes de cette immense cafétéria. La décoration de cet endroit nous rappela la nature. Des chaises et des canapés étaient disposés un peu partout. Les buffets présentaient différents menus, le choix était large, même au niveau des boissons chaudes. Nous nous essayâmes sur un des canapés avec notre café à la main.

— Comment es-tu rentrée ici ? m'autorisai-je à demander à Chloé.

— On va dire que je n'ai pas eu une adolescence facile. J'ai décroché très tôt de l'école. À dix-huit ans, je suis tombée enceinte, ma mère m'a mis à la porte en me disant qu'il n'y aurait pas assez de place pour moi et mon futur enfant chez elle. J'ai été ensuite de foyer en foyer pour les jeunes mères en difficulté. Je vivais dans la plus grande précarité absolue et la naissance de ma fille n'a pas arrangé les choses. Au moment où j'allais tout lâcher, c'est-à-dire confier mon enfant à l'adoption et bien décidée à me foutre en l'air par la suite, je me suis arrêtée dans une église, non loin de là. C'était comme si quelque chose me poussait à y rentrer. C'est quand on touche vraiment le fond que l'on se met à supplier le ciel, donc j'ai fait comme le commun des mortels, en serrant mes mains pour prier. J'ai demandé à la seule personne en qui je n'avais jamais cru, son aide. C'était il y a deux ans.

Elle s'arrêta, l'émotion dans toute sa chaire était vive, ravivée par des souvenirs douloureux. J'avais moi-même les larmes aux yeux, comme si je ressentais sa douleur à cette époque.

— Chloé, tu n'es pas obligée de tout me raconter, je ne veux pas te mettre dans cet état-là. Je suis sincèrement désolée, je n'aurais pas dû.

— Non, ça ne me dérange pas de t'en parler. Peu de personnes connaissent cette partie de mon histoire en réalité. En sortant de l'église Sainte Thérèse, j'ai bousculé un jeune homme sans faire attention, c'était monsieur Mattew. Il m'a rattrapée juste avant que ne tombe par terre. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais son regard m'a transpercée. C'était comme si, en une fraction de seconde il avait lu le récit de ma triste vie. Devant ma détresse, il m'a emmenée prendre un café, en face de l'église et on a beaucoup parlé. Non, je rectifie, c'est moi qui ai beaucoup parlé à vrai dire. Une semaine après, j'intégrais un poste à responsabilité à Trac-Word au service presse et communication. Ça a complètement changé ma vie. Sur une fiche de paye, le nom de cette multinationale est comme un sésame qui m'a ouvert toutes les portes. Aujourd'hui, je peux tout offrir à ma fille.

Une bouffée d'émotion me submergea. Quand on rencontre Chloé pour la première fois, personne ne peut s'imaginer un instant qu'elle a eu une vie si difficile auparavant. La rencontre avec Faïz a été pour elle, une véritable bénédiction. Le regard que j'avais sur lui changea du tout au tout. Moi qui avais dressé un portrait de lui plutôt froid, autoritaire et sans vraiment de compassion pour les autres se brisa à ce moment en mille morceaux.

— Je réalise qu'au bout de six mois je ne le connais pas du tout, me susurrai-je à moi-même.

— On ne peut jamais connaître véritablement une personne.

Son téléphone sonna, elle consulta aussitôt le message qu'elle venait de recevoir.

— Parfait, déclara-t-elle, on va pouvoir continuer, James et Andy sont enfin arrivés. Ces deux-là je te jure...

Chloé leva les yeux au ciel, faisant semblant d'être exaspérée puis nous rassemblâmes nos affaires pour repartir, toujours au pas de course. Mes pieds dans mes escarpins me brûlaient déjà.


Dark Faïz : Tout héros a sa légende [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant