Février
Chloé
J'étais assise sur un banc dans le parc de la résidence, en train de lire pour la centième fois « Les Yeux d'Elsa », le poème d'Aragon.
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
Je n'arrivais pas à me concentrer. Je fixais la page sans comprendre ce que je lisais.
Moi aussi j'avais de beaux yeux, hein ? Est-ce que pour autant, Alessio y perdait la mémoire... ?
Bien sûr que non. Pour cela, il eût fallu qu'il m'aime. Il eût fallu qu'il soit amoureux de moi.
Le cœur gros, je fermai le livre.
La neige s'était arrêtée de tomber sur les arbres dénudés, recouvrant l'ensemble du parc d'un manteau blanc scintillant.
Je regardai pensivement ma botte UGG, glissai le pied sur la pelouse. Les brins d'herbe crissèrent sous ma semelle, alourdis de neige.
Lasse, je retirai mes mitaines et les glissai dans les poches de ma doudoune. Puis je sortis mon portable et vérifiai mes messages.
Il m'avait fallu un certain temps pour me remettre de la scène du Kaziski Jolie, où j'avais vu Alessio danser de si près avec cette fille inconnue, avant de l'embrasser à pleine bouche comme s'il était mort de soif et qu'elle était son oxygène... des semaines à ruminer.
J'ignore ce qui m'avait tant choquée. Le fait qu'il ne reste pas là à m'attendre, moi ? Ou le fait qu'il se comporte comme plein de mecs le faisaient, lui que j'avais toujours trouvé assez différent des autres, en fin de compte...
Je ne sais pas, mais au début j'étais déçue, et plutôt irritée ; et moi alors, je comptais pour du beurre ? Et le fait que je lui avais dit que je l'aimais, cette fameuse nuit de décembre où il avait littéralement pleuré dans mes bras ? Pleuré, pour l'amour du ciel !
Alex ne m'invitait toujours pas à sortir avec lui et ses amis, comme avant son anniversaire. La même question m'obsédait toujours : pourquoi se comportait-il comme ça, à présent ? Qu'est-ce qui avait changé ?
Je n'y comprenais rien.
Normalement, j'allais le croiser le lendemain, à l'université, mais je savais qu'il me dirait rapidement bonjour, sans plus. Cette pensée m'emplissait de découragement et d'agacement tout à la fois. Il me manquait tellement ! Je n'en pouvais plus.
A ce moment, je perçus un mouvement à la périphérie de ma vision et tournai la tête. Lucie, qui travaillait aux cuisines, traversait le chemin de gravillons pour gagner la résidence, un sac de provisions à la main. Lucie n'était pas beaucoup plus âgée que moi ; elle avait trente ans, peut-être. Moi vingt-trois. Une idée germa dans mon esprit en la voyant gravir les marches du perron. Ni une ni deux, je me levai, abandonnant mon livre sur le banc, et la rattrapai en courant.
« Lucie, attends ! »
J'étais déjà tout essoufflée. Elle s'immobilisa, surprise de me voir là.
« Mademoiselle Chloé ?
─ Bonjour, tu vas bien? Laisse-moi t'aider. »
Je lui pris d'autorité l'un des sacs des mains.
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Le Solstice d'été (HB 2)
Teen FictionDélaissée par celui qu'elle aime, Dani est partie au Brésil pour s'occuper de la gestion de son association Guiomar. Loin d'Alessio, elle tente de toutes ses forces de laisser ses démons derrière elle, afin d'avancer dans sa vie et s'autoriser à êtr...