10

922 126 50
                                    

Daniela

« Alors... je n'ai pas encore eu l'occasion de te demander... t'as quel âge ? » s'enquit Luiz en sirotant son Coca.

  Nous étions seuls, mais le boteco était très bruyant à cause du match. A vrai dire, tous les botecos et brasseries de la rue étaient survoltés ; on aurait dit que la moitié du stade s'était réuni dans le quartier de Baixo Gavea où nous nous étions arrêtés. Pendant que la Seleção jouait (et gagnait), Luiz et moi attendions lui son ami Cassio, moi mon amie Niki, censés nous rejoindre sous peu.

Nous étions assis l'un en face de l'autre à une petite table circulaire, non loin du bar. J'avais commandé une caïpirinha, Luiz un hamburger et un soda.

Je retins un sourire face à l'innocence de sa question. J'avais l'impression d'être retournée à l'école primaire.

« J'aurai vingt-sept ans le 4 mars, répondis-je.

─ Oh ! C'est bientôt, dans deux semaines en fait ! Va falloir qu'on fête ça ! Enfin un mystère résolu ! Tu es bien jeune.

─ Haha ! Dis donc, tu n'es pas sans ignorer que c'est impoli de demander l'âge d'une femme ?

─ Bah, tu veux pas de moi, donc on s'en fout, non ? Et moi, tu penses que j'ai quel âge ?

─ Je sais pas, trente-six ans ? » dis-je pour l'embêter.

Il faillit s'étrangler avec son soda, et je m'entendis rire de bon cœur.

« Dis donc ! J'en ai seulement vingt-neuf. Et qu'est-ce que tu faisais en France ? Tu es née à Salvador, non ?

─ Oui, je suis née à Salvador, comme Paol. Je suis allée en France tous les étés à partir de mes dix ans, après le divorce de mes parents. Mon père a toujours eu un faible pour la France. Après... heu, la mort de Rubén, je suis restée.

─ T'avais quel âge ? » s'enquit Luiz en passant la main dans ses cheveux sombres.

Ce jour-là, il les portait détachés. Il avait de beaux cheveux soyeux, coupés au carré, qui avaient plein de mouvement. La façon dont il les dégageait de son visage était étonnamment virile et sexy. Je m'efforçai de détourner les yeux de ses avant-bras musculeux, révélés par son t-shirt frappé du logo gris et argent de Guiomar.

« Heu... j'avais dix-huit ans quand j'ai quitté le Brésil pour la France, répondis-je, l'air de rien, en prenant une gorgée de ma boisson.

─ Hmm... Toi aussi, tu as vécu longtemps à l'étranger, alors. Tu préfères la France au Brésil ?

─ C'est incomparable, répliquai-je. Les deux pays sont les miens.

─ Mais tu restes Brésilienne, insista Luiz, amusé.

─ Oui, quand même. Et toi ? Tu parles un anglais parfait. »

C'était vrai. Je l'entendais souvent au téléphone, appeler des contacts pour Guiomar.

« J'ai vécu des années en Angleterre, expliqua Luiz. Dix ans exactement. C'était Londres ou New York. J'ai choisi Londres. L'accent fait craquer les dames.

─ Je vois » commentai-je avec un sourire en coin.

J'avais très vite remarqué sa proportion à dire les choses pince-sans-rire, de sorte qu'il plaisantait la moitié du temps sans en avoir l'air. Il me semblait difficile à cerner, du coup. Comment savoir qui il était, s'il blaguait sans cesse ?

« Hey. Tu veux partager mon burger ? proposa Luiz. Tu n'as pas mangé grand chose, ce midi, au bureau. Comme tous les midis, d'ailleurs. »

J'ignorai sa remarque.

Le Solstice d'été (HB 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant