Si maladroite

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Après tout ce qui s’est passé, le simple fait de franchir la porte du bâtiment m’a demandé un effort énorme. Je n’ai pas dormi correctement depuis des jours, et je me suis accrochée à cette idée de normalité comme à une bouée de sauvetage. Peut-être que ça m’aiderait à retrouver un semblant de stabilité, à mettre un peu d’ordre dans le chaos de mes pensées.

Je serre les dents en traversant le hall d’entrée. Les sourires polis des collègues me paraissent étrangers, comme si je ne faisais plus vraiment partie de cet endroit. Je sens leurs regards qui glissent sur moi, certains pleins de compassion, d’autres simplement curieux. Personne n’ose vraiment poser de questions, et c’est tant mieux.

Je me dirige vers la salle de réunion pour une séance que j’avais prévue de longue date. J’ai besoin de me plonger dans quelque chose de concret, de professionnel. Je pousse la porte et, à ma grande surprise, je le vois. Jordan est déjà là, assis à la table, plongé dans des dossiers. Mon cœur rate un battement. Pendant une seconde, j’ai envie de faire demi-tour, de fuir cette situation, mais il lève les yeux et nos regards se croisent.

Je me fige, incapable de dire quoi que ce soit. L’air entre nous semble soudainement plus lourd, chargé de tout ce qui n’a pas été dit. Il y a tellement de choses que j’aimerais lui dire, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je me contente de hocher la tête en guise de salut, espérant que cela suffira.

« Orane, » dit-il finalement, avec une voix plus douce que je ne l’aurais imaginé. « Tu es déjà là. »

« Oui… Je… je voulais juste… » Je me rends compte que je ne sais même pas quoi dire. Je m’oblige à entrer dans la pièce et à m’installer en face de lui. Mon corps entier est tendu, comme si je m’attendais à ce qu’il se passe quelque chose d’imprévisible. Mais rien ne se passe. Le silence s’installe entre nous, et c’est pire que tout.

Je fais mine de fouiller dans mon sac, cherchant désespérément une échappatoire, une distraction, n’importe quoi pour ne pas avoir à affronter ce moment. Mes doigts tremblent légèrement, et je me déteste pour ça. Pourquoi est-ce que c’est si difficile ? C’est Jordan, celui qui a toujours été là pour moi, celui avec qui tout semblait si simple… avant.

« Comment tu vas ? » Sa voix brise le silence, et je lève les yeux vers lui. Son regard est intense, comme s’il essayait de lire en moi. Mais il y a aussi quelque chose d’autre, quelque chose de plus distant.

« Ça va… et toi ? » Je me mords l’intérieur de la joue. La question est tellement banale, tellement insuffisante pour tout ce que je ressens. Mais que pourrais-je dire d’autre ?

Il esquisse un sourire qui ne touche pas vraiment ses yeux. « On fait aller. »

Je hoche la tête, ne sachant pas quoi répondre. Il y a tellement de choses entre nous, mais aussi tellement de distance. Je n’arrive pas à me concentrer sur quoi que ce soit d’autre que la présence de Jordan, juste là, à quelques mètres de moi. Son air fatigué, la façon dont il évite de me regarder trop longtemps… tout ça me donne l’impression que nous sommes des étrangers.

J’essaie de me rappeler pourquoi je suis venue ici, mais c’est comme si mon esprit était enveloppé de brume. Je le vois se pencher légèrement sur la table pour attraper quelque chose, et nos mains se frôlent. Le contact est léger, presque imperceptible, mais il envoie une décharge électrique à travers tout mon corps. Je retire ma main brusquement, trop brusquement, comme si je venais de toucher quelque chose de brûlant.

« Désolée… » Je murmure, en me sentant immédiatement stupide.

« Ce n’est rien. » Il répond, mais je  bien que quelque chose dans son expression a changé. Peut-être est-ce juste mon imagination, ou peut-être qu’il ressent la même gêne que moi.

Le silence qui s’ensuit est lourd, presque insupportable. J’aimerais trouver un moyen de le briser, de dire quelque chose d’important, mais tout ce que je fais, c’est m’enfoncer un peu plus dans cette gêne. Je commence à me lever, le cœur battant à tout rompre, trop consciente de la maladresse de la situation.

« Je crois que… je vais y aller. » Ma voix est faible, presque un murmure. Je n’ai jamais été aussi consciente de mes propres mouvements, de la façon dont je me tiens, de la tension dans l’air.

« D’accord… On se revoit bientôt, alors ? » Il ne bouge pas, et je sens son regard peser sur moi.

« Oui, sûrement. » Je m’efforce de sourire, mais c’est un geste forcé, mécanique. Je tourne rapidement les talons et quitte la pièce, laissant derrière moi une conversation inachevée et une sensation d'inconfort qui me suivra pour le reste de la journée.

En sortant, je sens mes mains trembler encore légèrement. Pourquoi est-ce que c’est si difficile ? Pourquoi est-ce que tout semble si différent maintenant ? Le simple fait d’être près de Jordan me bouleverse, et je déteste cette nouvelle réalité où tout est si maladroit entre nous.

Alors que je m'éloigne, je ne peux m’empêcher de penser que nous sommes comme deux personnes qui essaient de recoller les morceaux d’une relation brisée, mais qui ne savent pas vraiment comment faire.

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