Carnet

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Je ne m’attendais pas à le voir ce jour-là. Après notre sortie au café, j’avais pris mes distances, me réfugiant dans la solitude de mon appartement, espérant que l'isolement m'aiderait à remettre de l’ordre dans mes pensées. Mais rien n’y faisait. Chaque coin de mon esprit était encombré par des souvenirs, des doutes, et cette sensation oppressante de ne plus savoir qui j’étais ni ce que je devais faire.

C’était un matin comme les autres, du moins en apparence. La lumière du jour filtrait à peine à travers les rideaux tirés, et je traînais sans but dans mon salon, mon téléphone à portée de main, sans vraiment oser le consulter. J’avais l’impression d’être suspendue dans un temps qui n’avançait plus, figée dans une attente que je ne comprenais pas.

Puis, la sonnette de l’entrée a retenti. Un bruit qui m’a fait sursauter, brisant le silence lourd qui pesait sur l’appartement. Mon cœur s’est emballé. Je n’attendais personne. Je me suis approchée de la porte avec une certaine appréhension, mon esprit envisageant déjà toutes sortes de scénarios improbables.

Quand j’ai ouvert, c’était lui. Jordan. Là, devant moi, l’air hésitant, comme s’il se demandait encore s’il avait bien fait de venir. Il tenait quelque chose dans ses mains, un petit paquet soigneusement enveloppé, et je l’ai regardé sans comprendre, mon cerveau trop lent à réagir.

« Salut, » a-t-il dit, sa voix basse, presque incertaine. « Je... Je me suis dit que ça te ferait peut-être plaisir. »

Mon regard est descendu vers le paquet, puis remonté vers lui, cherchant des réponses dans ses yeux. J’étais incapable de parler, ma gorge soudainement nouée. Jordan n’était pas du genre à offrir des cadeaux sans raison, et ça m’a troublée plus que je ne voulais l’admettre.

« Tu... tu veux entrer ? » ai-je fini par balbutier, ouvrant la porte un peu plus pour l’inviter à l’intérieur.

Il a hoché la tête et est entré doucement, comme s’il craignait de franchir une ligne invisible. Je l’ai conduit au salon, où il s’est assis sur le bord du canapé, le paquet toujours entre ses mains. Moi, je restais debout, nerveuse, incapable de m'asseoir.

« Qu’est-ce que c’est ? » ai-je demandé en désignant le paquet. Ma voix était un peu trop tendue, mais je n’arrivais pas à masquer l’étrangeté de la situation.

Il m’a tendu le paquet, ses mains tremblaient légèrement, et j’ai senti une boule d’émotion monter dans ma poitrine. Il n’avait jamais été très doué pour ce genre de choses, les gestes spontanés ou les cadeaux surprises. Ça rendait ce moment encore plus surprenant.

Je me suis assise à côté de lui, prenant le paquet avec précaution, comme si j’avais peur de l’abîmer. Lentement, j’ai commencé à défaire l’emballage, chaque geste délibéré, cherchant à gagner du temps, à comprendre ce qui se passait.

Sous le papier se trouvait un petit carnet, avec une couverture en cuir usé, qui avait visiblement vécu. Je l’ai ouvert, et mes doigts ont frôlé les pages vierges, un peu jaunies, mais d'une texture agréable, presque réconfortante.

« C’est un carnet... pour toi, » a-t-il murmuré. « Je sais que tu aimais écrire, avant... avant tout ça. Et je me suis dit que peut-être, ça pourrait t'aider à... à retrouver un peu de toi-même. »

Ses mots étaient maladroits, mais sincères. Je sentais qu'il essayait de m'offrir un geste de soutien, une main tendue pour me ramener vers quelque chose que j'avais perdu. Mais ce n'était pas qu'un simple carnet, c'était une invitation à revivre ce que j'avais été avant que tout ne s'effondre.

J’ai serré le carnet contre moi, mes doigts glissant sur la couverture. Une vague d’émotion m’a envahie, si soudaine et si forte que j’ai dû fermer les yeux un instant pour ne pas me laisser submerger. Il y avait quelque chose d’infiniment touchant dans ce cadeau, quelque chose qui m’a ramenée à une époque où tout était plus simple, plus clair.

« Merci, » ai-je murmuré, ma voix à peine audible. Je ne savais pas quoi dire d’autre. Ce simple mot semblait insuffisant pour exprimer ce que je ressentais. C’était à la fois un soulagement et une douleur, une reconnaissance mêlée à une peur de ne jamais pouvoir retrouver cette partie de moi qu’il essayait de réveiller.

Jordan n’a rien dit. Il est resté là, assis près de moi, comme s’il comprenait que les mots n’étaient pas nécessaires, ou peut-être qu’il avait peur de dire quelque chose qui briserait cet instant fragile. Le silence entre nous était lourd, mais pas comme avant. Il était... différent. Chargé de tout ce qu’on n’avait pas encore réussi à exprimer, mais aussi d’une étrange forme de compréhension.

Finalement, je me suis tournée vers lui, et pour la première fois depuis longtemps, j’ai osé le regarder vraiment. Pas simplement le voir, mais le regarder, essayer de lire dans ses yeux ce qu'il ne disait pas. J’ai vu son inquiétude, sa fatigue, mais aussi une détermination farouche, celle de ne pas me laisser tomber, même s’il ne savait pas toujours comment s’y prendre.

« Je ne sais pas si je peux, » ai-je avoué en désignant le carnet. « Je ne sais pas si je suis encore capable d'écrire, comme avant... »

« Ce n’est pas grave, » a-t-il répondu doucement. « Ce carnet... c’est pour quand tu seras prête. Il n’y a pas de pression, pas d’attentes. Juste... prends ton temps. »

Ces mots, simples mais honnêtes, ont touché quelque chose en moi. J’ai hoché la tête, sentant les larmes monter, mais cette fois, je ne les ai pas repoussées. Elles coulaient doucement, sans douleur, comme une libération longtemps attendue.

Jordan a fait quelque chose de surprenant alors, quelque chose qui a fait battre mon cœur un peu plus vite. Il a posé sa main sur la mienne, légère, hésitante, comme s’il craignait ma réaction. Et pour la première fois depuis longtemps, ce contact ne m’a pas fait peur. Au contraire, il m’a réchauffée, m’a fait sentir moins seule.

Je n’ai pas répondu tout de suite. Je n’étais pas sûre de ce que je ressentais, ni de ce que je voulais. Mais pour la première fois, je n’ai pas repoussé cette idée. Peut-être, juste peut-être, qu’il y avait encore une chance pour nous deux, même si le chemin serait long et semé d’embûches.

Et alors que je serrais le carnet contre moi, j’ai compris que ce cadeau était plus qu’un simple objet. C’était un symbole, un signe que Jordan croyait encore en moi, en nous. Et même si je n’étais pas prête à tout affronter, même si j’avais encore peur, ce geste m’a donné un peu de courage pour essayer.

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