Est Ce Bien Réel

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Trois ans. Trois longues années d'un enfer silencieux, où chaque jour ressemblait à un interminable cauchemar. Le temps avait emporté avec lui la femme que j'étais autrefois, me laissant brisée, vidée de toute force, de tout espoir. Mon monde s'était rétréci jusqu'à ne devenir qu'une cage de quatre murs, ces murs qui avaient vu ma vie s'effondrer morceau par morceau. Jordan… Son souvenir devenait de plus en plus flou, une image de plus en plus difficile à évoquer, et chaque fois que j’essayais de m'y accrocher, il s’éloignait davantage.

L'expéditeur, cet homme qui avait fait de ma vie un enfer, me laissait désormais sortir, m'accordant un semblant de liberté qui n'était rien d'autre qu'une nouvelle forme de torture. Ces promenades autour de la maison n'étaient que des illusions. Il savait que je ne pourrais aller nulle part, que personne ne viendrait à mon aide dans ce paysage désolé, où les rares passants ne faisaient que traverser, sans jamais prêter attention. Même l'air frais avait un goût amer, celui de l'isolement et de la désespérance.

Il me parlait, parfois, avec un sourire qui me donnait des frissons. Il me donnait des nouvelles du monde extérieur, mais toujours avec cette lueur malveillante dans les yeux. Un jour, il m'avait dit d'un ton léger que les gens en France avaient oublié mon existence. "On ne parle plus de toi aux infos, Orane. Tu es devenue un fait divers, une histoire ancienne. Même tes proches ont fini par tourner la page." Ces mots, dits avec une telle indifférence, m'avaient transpercée. Était-ce vrai ? Est-ce que Jordan m’avait vraiment oubliée ? L'idée que le monde avait continué de tourner sans moi me rendait malade.

À d'autres moments, il laissait traîner des journaux ou des articles imprimés. Des récits de disparitions non résolues, des histoires d’enquêtes qui s’éteignaient faute de nouvelles pistes. Il voulait que je lise ces histoires, que je comprenne à quel point il était facile de disparaître sans laisser de traces, à quel point il était facile pour le monde de vous oublier. Et chaque fois que je cédais à la tentation de les lire, je sentais mon cœur se serrer un peu plus. L'espoir s'amenuisait, me laissant dans un état de désespoir si profond que même pleurer devenait impossible.

Il y a longtemps, combien de temps exactement ? Je n'en avais aucune idée, tant les jours et les nuits s'étaient fondus en un flux continu, je m'étais réveillée dans un état de confusion absolue. Mon corps était lourd, comme enveloppé dans une brume épaisse. Mes pensées, elles aussi, étaient floues, désordonnées. Je me souvenais avoir tenté de bouger, mais mes membres refusaient de répondre. C'était comme si un poids invisible m'avait clouée sur place. Puis, dans ce brouillard, j'avais senti ces mains. Des mains froides et insidieuses qui glissaient sur ma peau, s'attardant de manière écœurante.

Chaque mouvement que j'essayais de faire semblait inutile, comme si mes efforts se perdaient dans le néant. Je voulais crier, repousser ces mains, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Tout était si confus, si irréel. Pourtant, une partie de moi savait que ce n'était pas un rêve. Je reconnaissais ces mains, ces doigts qui se déplaçaient sur moi avec une lenteur calculée. C'était lui. Il était là, près de moi, jouant avec mon impuissance, savourant chaque instant. Je me sentais déchirée, mais aussi terriblement vulnérable, comme si j'étais piégée dans mon propre corps.

Il continuait à venir, toujours avec cette attitude décontractée qui contrastait tant avec la violence qu'il m'avait fait subir. Chaque visite était un rappel cruel que je n'avais aucun contrôle, que tout ce qui m'arrivait dépendait de lui. Et ces histoires qu'il me racontait, ces nouvelles du monde extérieur, étaient autant d'armes psychologiques. "Personne ne viendra te chercher, Orane. Personne ne se soucie plus de toi," disait-il parfois, avant de quitter la pièce en sifflotant, me laissant seule avec mes pensées dévastatrices.

Et pourtant, quelque part en moi, une petite voix refusait de mourir. Une voix faible, presque inaudible, qui continuait de me murmurer que tout cela ne pouvait pas être la fin. Peut-être que Jordan n'avait pas abandonné. Peut-être que quelque part, il continuait de chercher. Mais cette voix était étouffée par le bruit assourdissant de mon désespoir, par cette peur constante que l'expéditeur avait plantée dans mon esprit.

Un jour, alors que je m'étais recroquevillée sur le lit, le silence de la maison fut soudainement brisé par un grondement lointain. Un éclair de lumière zébra le ciel, suivi d'un coup de tonnerre si puissant qu'il fit vibrer les murs. Mais ce n'était pas la seule chose à briser le silence. Des coups de feu retentirent au loin, et mon cœur s'arrêta. La panique s'empara de moi. Était-ce lui ? Avait-il enfin décidé d'en finir ?

Je bondis hors du lit, mes jambes m'emportant malgré moi vers la salle de bain où je m'enfermai, tremblante. Les pas résonnaient dans la maison, des bruits lourds, pressés, se rapprochant de plus en plus. J'étouffai mes sanglots avec mes mains, essayant de me faire aussi petite que possible. Les secondes s'étiraient en une éternité angoissante.

Puis, la porte explosa sous la force d'un coup. Je m'attendais à voir son visage, à sentir sa haine déferler sur moi. Mais ce ne fut pas lui. Des hommes en uniforme, armés, firent irruption dans la salle de bain. Leurs visages étaient sévères, mais dans leurs yeux, je vis quelque chose que je n'avais pas perçu depuis longtemps : de la compassion.

Ils m'emportèrent, me murmurant des mots rassurants que je n'entendais pas vraiment, tant j'étais sous le choc. Tout se passait si vite. Était-ce réel ? Était-ce un autre jeu tordu de l'expéditeur ? Je ne pouvais y croire. Après tout ce temps, après tant de souffrance, j'avais abandonné l'idée d'être sauvée. Mais ces soldats étaient bien là, réchauffant un coin de mon cœur que je pensais définitivement éteint.

Et pourtant, une partie de moi restait sur ses gardes. L'expéditeur avait été si habile dans sa manipulation, si cruel dans ses jeux d'esprit. Même en quittant cette maison, une part de moi craignait que ce ne soit qu'une autre illusion, un piège élaboré pour me briser encore plus. Tandis qu'ils m'éloignaient de cet enfer, je ne pouvais m'empêcher de penser : est-ce vraiment fini, ou est-ce que l'ombre de cet homme plane encore sur ma vie ?

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