Changement

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Je m'étais assoupie, à peine quelques heures, mais c’était déjà un progrès. Ce n'était pas une nuit complète, loin de là, mais après tant de nuits tourmentées, ces quelques instants de répit me semblaient presque un luxe. Les cauchemars, toujours présents, avaient perdu un peu de leur emprise sur moi, comme si la conversation avec Jordan avait allégé une partie de ce poids écrasant qui m'oppressait depuis si longtemps. Mon esprit, d'ordinaire en perpétuelle ébullition, m’offrait enfin un bref moment de calme.

Il était aux alentours de cinq heures du matin. La soirée s'était achevée quelques heures plus tôt, vers une heure, mais le sommeil m’avait fui presque aussitôt. Je me levai, les cheveux en bataille, et me dirigeai vers la salle de bain. En me regardant dans le miroir, je fus frappée par la fatigue et la lassitude qui se lisaient sur mon visage. Ce reflet ne me ressemblait plus, ou peut-être étais-je tout simplement lassée de me voir ainsi, jour après jour, comme une ombre de moi-même.

J'éprouvais soudainement un besoin urgent de changement, de rompre avec cette image qui me renvoyait sans cesse à mon passé douloureux. Mais il était trop tôt pour faire quoi que ce soit de concret. Il me fallait encore patienter une heure au moins avant qu'une coiffeuse de Matignon ne puisse venir s’occuper de moi. L'attente me semblait insupportable. J’envoyai un message à Gabriel pour lui demander de prendre un rendez-vous pour moi, n'ayant pas les contacts nécessaires sous la main. Il répondit presque instantanément, signe qu'il ne dormait pas non plus, ce qui me conforta étrangement.

Le rendez-vous était fixé pour 6h30. C'était parfait. Mon nouvel appartement, non loin de Matignon, rendait les choses plus faciles. Je pris une douche rapide, même si j'étais déjà bien éveillée. L'eau chaude me donna un semblant de réconfort. En sortant, je m’habillai d’un simple pyjama confortable, préférant l’aisance à tout autre considération.

La coiffeuse arriva pile à l'heure. Une femme discrète, efficace, qui installa son matériel avec la dextérité d'une habituée. Je lui demandai de couper une bonne partie de ma chevelure. Mes cheveux, longs, descendaient bien en dessous de mes épaules, frôlant presque mes omoplates. Le poids de cette longueur me semblait soudain insupportable, comme si ces mèches portaient en elles tout ce que j'avais vécu.

« Vous êtes sûre, madame ? Vous allez couper beaucoup, » dit-elle, un sourire bienveillant aux lèvres, comme si elle comprenait l'importance de ce moment.

« Oui, j'en ai besoin. »

Elle hocha la tête et commença son travail. À chaque mèche qui tombait au sol, je sentais une partie de moi s'alléger, même si un léger pincement au cœur persistait. C'était plus qu'une simple coupe de cheveux, c'était un moyen de me débarrasser symboliquement du passé qui m'alourdissait.

Une fois la coupe achevée, elle me fit un shampoing et me coiffa, prenant soin de donner forme à ce nouveau carré. Le résultat me surprit, non pas parce qu'il était radicalement différent, mais parce qu'il me ressemblait plus. C'était moi, une version de moi que j'avais presque oubliée.

« Vous êtes très belle, madame, » dit-elle en souriant, son ton sincère et chaleureux.

Je lui rendis son sourire, un sourire timide mais vrai, une rareté ces derniers temps. Quand elle partit, je restai un moment devant le miroir, observant cette nouvelle image de moi-même. C'était une petite victoire, un premier pas vers une renaissance que j'espérais depuis longtemps.

Alors que je me perds dans mes pensées, le bruit sourd de plusieurs voitures se fait entendre. Je jette un coup d'œil par la fenêtre et mon cœur se serre en voyant un convoi de voitures noires se garer devant chez moi. L'agitation en bas indique quelque chose d'inhabituel. Mon esprit, encore fragile, commence à imaginer le pire.

Quelques minutes plus tard, on frappe à ma porte. Mon agent de sécurité, toujours vigilant, entre en premier, suivi de Gabriel. L'expression sur son visage, habituellement si contrôlée, trahit une certaine tension.

« Orane, » dit-il doucement, « on doit te parler. »

Je ressens une montée d'adrénaline, mes mains commencent à trembler légèrement. Gabriel fait signe à l'un des policiers qui l'accompagnent, et celui-ci s'avance, une mine grave. « Nous avons arrêté celui qui vous a retenue captive, » annonce-t-il. Les mots tombent comme un couperet, et pendant une seconde, je ne suis pas certaine de comprendre.

« Mais… Je croyais qu’il avait été arrêté il y a des mois, quand vous m’avez retrouvée, » balbutiai-je, déconcertée.

Gabriel prend une profonde inspiration. « Nous avons gardé le silence à ce sujet pour te protéger. Nous savions qu'il était encore en liberté et qu'il représentait une menace. C’est pourquoi tu étais sous surveillance constante. Mais maintenant, c'est terminé. Il ne pourra plus te faire de mal. »

Les émotions tourbillonnent en moi, un mélange de soulagement, de colère, de confusion. Mes jambes me semblent soudainement lourdes, et je m’appuie contre le dossier du canapé pour ne pas vaciller. Tout cela était encore trop frais, trop intense pour que je puisse pleinement absorber l’information.

Gabriel s’approche de moi, posant une main légère sur mon épaule. « Orane, il faut que tu viennes avec nous maintenant. »

Je hoche la tête, incapable de parler. Je sens les larmes monter, mais je les retiens. Pas maintenant, pas devant eux. Je veux garder un semblant de contrôle.

Gabriel reste près de la porte, me laissant un moment pour rassembler mes pensées, attendre que je sois prête. Je respire profondément, essayant de calmer les battements affolés de mon cœur. Mais il n’y a pas de retour en arrière, je le sais. Ce que je vais affronter dehors, ce que je vais apprendre, pourrait changer ma vie à jamais.

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