Bulle de malaise

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POV Jordan :

Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre en l'invitant à sortir. Ce n'était même pas une vraie invitation, juste une proposition lancée au hasard pour éviter qu'elle reste enfermée chez elle. Après ce qu'on avait traversé, rester seul semblait la dernière chose dont elle avait besoin, et moi, je... Je ne savais plus vraiment ce que je faisais. Je voulais juste être là, être proche d'elle. Et peut-être, je l'avoue, tester les eaux, voir où on en était.

On avait opté pour un café simple, un endroit neutre où on pourrait parler sans la pression du passé ou des souvenirs. L'ambiance était douce, presque apaisante, avec des tables en bois usé et des plantes qui ornaient les coins du lieu. Le genre d'endroit où, normalement, on pourrait se détendre, oublier un peu le reste du monde. Pourtant, dès qu'on s'est assis, j'ai senti une tension. Pas le genre de tension que je connaissais avec Orane, celle qui venait des moments où on partageait un silence confortable. Non, c'était différent. Pesant.

Je la regardais à la dérobée, essayant de capter son regard, mais elle l’évitait. Elle se concentrait sur sa tasse, la remuant sans cesse, créant des cercles presque obsessionnels avec sa cuillère. Le café était là, devant elle, encore fumant, mais elle n'y touchait pas. J'aurais pu tout aussi bien ne pas être là, et ça m’a donné une sensation étrange, comme si je n’étais plus vraiment connecté à elle, à ce qu’elle ressentait.

« Tu as bien dormi cette nuit ? » Ma question était banale, trop banale. Immédiatement après l'avoir posée, je m'en suis voulu. J'aurais pu trouver mieux, quelque chose qui montre que je m'inquiétais vraiment pour elle. Mais c'était tout ce qui m'était venu.

« Oui... enfin, à peu près, » a-t-elle répondu sans lever les yeux, sa voix à peine plus qu'un souffle. Elle m’avait déjà répondu par ces mots des centaines de fois, mais cette fois-ci, ça sonnait faux, creux, comme si elle s'efforçait de donner une réponse qu'elle pensait attendue, sans conviction.

J'ai essayé de relancer la conversation, de trouver un sujet qui pourrait la sortir de cette torpeur. Encore une proposition maladroite, mais je cherchais désespérément une accroche, n'importe quoi qui pourrait nous ramener à un semblant de normalité.

Elle a juste hoché la tête, un geste presque imperceptible, sans même relever les yeux. Et moi, je me suis senti idiot, comme si j'essayais de rallumer une flamme qui était déjà éteinte. Pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher d'essayer.

Le silence entre nous devenait de plus en plus lourd, comme une chape de plomb qui nous écrasait. Les autres clients du café semblaient parfaitement à l'aise, discutant, riant, et nous, on était là, coincés dans notre bulle de malaise, incapables de se joindre au monde autour de nous. Je commençais à me sentir nerveux, conscient du regard des autres, même si personne ne faisait vraiment attention à nous.

Orane, elle, semblait de plus en plus tendue. Ses gestes devenaient saccadés, presque mécaniques. Sa main tremblait légèrement quand elle portait la tasse à ses lèvres, et elle ne buvait que par petites gorgées, comme si chaque mouvement était un effort. J’ai tenté de détendre l’atmosphère, de lancer une blague à propos du serveur qui avait renversé son plateau un peu plus tôt, mais même ça n’a pas marché. Elle a esquissé un sourire, un rictus forcé, qui n’a pas atteint ses yeux.

Je commençais à m'inquiéter sérieusement. Ce n'était pas normal, cette distance qu'elle mettait entre nous, cette manière qu'elle avait de se refermer sur elle-même. J'avais envie de la prendre par la main, de lui dire que tout irait bien, mais j'avais peur que ça la brise encore plus. Alors je me suis contenté de rester là, assis en face d'elle, à regarder mon propre café refroidir, en espérant que quelque chose change.

Puis, sans crier gare, elle a posé sa tasse un peu trop brusquement, renversant quelques gouttes de thé sur la table. « Je... Je crois que je vais rentrer, » a-t-elle dit, presque dans un murmure. Elle avait l'air soudainement très petite, très fragile.

Je l’ai regardée, sidéré. « Orane, on vient à peine d’arriver... Est-ce que ça va ? » Ma voix trahissait l’inquiétude, mais aussi un soupçon de panique. Qu’est-ce qui se passait dans sa tête ? Pourquoi ce besoin soudain de fuir ?

« Oui... Je suis juste fatiguée, c'est tout. » Ses mots semblaient vides, prononcés par habitude plus que par sincérité.

J'ai ressenti une bouffée d'inquiétude, mais aussi d'impuissance. Qu'est-ce que j'avais espéré, au juste ? Que cette sortie réglerait tous nos problèmes ? Que tout reviendrait à la normale, juste parce qu'on était à nouveau ensemble, dehors, comme avant ?

Je l’ai vue se lever, rassemblant maladroitement ses affaires, son sac glissant presque de ses mains tremblantes. Je savais que je devais dire quelque chose, faire quelque chose. La retenir, lui dire que ça irait, qu'on trouverait un moyen de surmonter tout ça. Mais les mots ne sont pas venus. Je me suis contenté de me lever aussi, de la suivre en silence vers la sortie.

Le trajet en voiture jusqu'à son appartement s'est fait dans un mutisme pesant. Le silence n’était plus confortable, il était tendu, chargé de tout ce qu’on ne disait pas. J'avais envie de lui prendre la main, de lui montrer que j'étais là, même si je n'avais pas les réponses. Mais je n'en ai rien fait. Et elle, elle est restée silencieuse, le regard perdu par la fenêtre, comme si elle voulait s'échapper, être n'importe où sauf ici.

Je n'arrêtais pas de penser à ce que je pouvais faire pour briser cette barrière invisible entre nous, mais chaque idée me semblait encore plus ridicule que la précédente. Lui parler de la dernière série que j'avais vue ? Ridicule. Lui proposer une autre sortie, alors que celle-ci tournait déjà au désastre ? Insensé. Je voulais juste que les choses soient simples entre nous, comme avant, mais tout était devenu tellement compliqué, tellement confus.

Quand on est arrivés devant chez elle, je me suis arrêté, coupant le moteur, et j'ai tourné la tête vers elle. « Orane, » ai-je dit doucement, essayant de capter son attention. Mais elle était déjà en train d'ouvrir la portière, prête à s'échapper.

Elle s'est tournée vers moi, une fraction de seconde, et j'ai vu une lueur de détresse dans ses yeux. Mais elle a juste hoché la tête, murmurant un « Merci » à peine audible avant de sortir précipitamment de la voiture.

Je l'ai regardée s'éloigner, une boule d'angoisse dans la gorge. J'avais l'impression qu'à chaque pas qu'elle faisait, un fossé se creusait entre nous. Quand elle a disparu dans l'entrée, je suis resté là, immobile, le cœur lourd.

Je n'avais pas résolu grand-chose. Pire, j'avais l'impression d'avoir empiré la situation. Mais ce qui me terrifiait le plus, c'était ce sentiment d'incertitude qui ne me quittait pas. Est-ce qu'on pouvait vraiment retrouver ce qu'on avait perdu, ou est-ce que c'était déjà trop tard ?

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