rentrer à la maison

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Qu’est-ce que je venais de ressentir ? C’était à la fois si troublant et inattendu, mais aussi étrangement inévitable. Comme si, au fond, tout avait mené à cet instant dans mon bureau, à cette tension presque palpable entre Jordan et moi. Je l’avais déjà aimé autrefois, profondément. Alors, pourquoi pas encore une fois ? Ou peut-être n’avais-je jamais cessé de l’aimer…

La distance que nous avions maintenue ces dernières années, si précieuse pour panser nos blessures, semblait soudainement insuffisante face à ce feu qui couvait en silence. Cette distance, qui avait été notre bouée de sauvetage, me paraissait aujourd’hui presque dérisoire, incapable de contenir la force de ce que je ressentais. Chaque regard échangé, chaque mouvement partagé dans ce bureau exigu avait accentué cette impression que quelque chose de plus grand que nous était en marche, inexorable.

Je repensais à la maladresse de ce moment où mon chemisier s'était ouvert, exposant une partie de ma poitrine sous son regard. Ce n’était pas seulement la gêne de la situation qui m’avait bouleversée, mais bien la manière dont son regard s’était attardé, comme s’il voyait en moi quelque chose qu’il redécouvrait après tout ce temps. Mon cœur battait encore à un rythme irrégulier rien qu’en y pensant. Et cette chaleur étouffante dans le bureau n’arrangeait rien, elle ne faisait qu’intensifier l’étreinte oppressante de mes pensées.

Je tentais de me concentrer sur mes dossiers, de me plonger dans le travail comme je l’avais fait tant de fois auparavant pour fuir mes émotions, mais cette fois, cela semblait impossible. Chaque mot que je lisais sur les documents, chaque chiffre que je tentais de comprendre se mélangeaient dans ma tête, effacés par l’image de Jordan, si proche de moi, son souffle chaud caressant ma peau.

Ce n'était pas seulement une question de désir. Ce n'était pas juste cette tension physique que je ressentais en sa présence. C'était bien plus que ça. C'était cette complicité passée, ce lien que nous avions forgé dans les épreuves et les moments de bonheur, qui semblait ressurgir avec une intensité nouvelle. Un simple regard, un simple touché pouvait me mettre dans tous mes états, et c’est exactement ce que j’avais l’impression de ressentir maintenant. Ce lien que je pensais avoir perdu avec le temps, avec la douleur et la distance, semblait se reformer, plus fort que jamais.

Je me surpris à regarder l’horloge sur le mur, comptant les minutes qui s’égrenaient lentement, les secondes même, jusqu'à ce que je puisse enfin quitter cet endroit. Non pas parce que je voulais fuir Jordan, mais parce que je sentais que rester ici, dans cet état d'esprit, ne ferait qu’empirer les choses. Chaque seconde passée à me battre contre ces émotions me semblait une éternité, une lutte vaine contre quelque chose d’inévitable.

Et puis, il y avait ce chemisier… Ce foutu chemisier. Déjà mis à mal par la perte de son bouton, il semblait peser une tonne sur mes épaules, comme un rappel constant de ce qui s’était passé plus tôt. Je n’avais pas de rechange, et rester ainsi, à moitié découverte, me mettait mal à l’aise, me rappelant sans cesse l’intensité du regard de Jordan sur moi. Cette chaleur étouffante n’aidait en rien. Chaque mouvement que je faisais semblait exacerber la sensation du tissu contre ma peau, me rappelant inlassablement le moment où tout avait basculé.

Il se faisait tard, et l’idée de rentrer chez moi commençait à me sembler de plus en plus attrayante. Peut-être que l’air frais, loin de ce bureau devenu si lourd de sous-entendus, m’aiderait à retrouver un peu de clarté, à comprendre ce que je ressentais vraiment. Je savais que je devais partir, m’éloigner de cette tension, même si une part de moi n’en avait aucune envie. Peut-être que la distance me permettrait de faire le point, de reprendre le contrôle sur des émotions qui menaçaient de m’échapper.

Je rassemblai mes affaires avec une lenteur inhabituelle, comme si je craignais ce que j’allais trouver en quittant ce bureau. Mon esprit était partagé entre l’envie de fuir et celle de rester, de me confronter à ce qui se passait entre nous. Une part de moi espérait que Jordan m’arrête en chemin, qu’il trouve une excuse pour prolonger ce moment, pour nous obliger à affronter ce que nous ressentions. Pourtant, je savais que ce serait jouer avec le feu, que rester ici ne ferait qu’intensifier ce que je ressentais déjà.

Je soupirai profondément, tentant de me calmer avant de fermer mon sac. Ce soir, je devais rentrer chez moi, prendre de la distance, retrouver un peu de sérénité pour comprendre ce qui se passait en moi. J'avais besoin de faire le point, de trouver un moyen de gérer ces émotions qui menaçaient de m’emporter. Je savais que cela ne serait pas facile, mais c'était nécessaire.

En me levant de ma chaise, je fis un effort conscient pour me ressaisir, pour me rappeler que nous étions au travail, que je devais rester professionnelle. Mais au fond de moi, je savais que la frontière entre le professionnel et le personnel s'effaçait peu à peu. Et que tôt ou tard, cette confusion mènerait à quelque chose de plus grand, de plus intense, que ce que j'avais imaginé. J'avais beau essayer de me convaincre que je pouvais encore maîtriser la situation, je sentais que je m’engageais sur un terrain où les règles que j’avais toujours suivies ne s’appliquaient plus. Et cela, quelque part, me terrifiait autant que cela m'attirait.

Mais il était temps de partir. Le poids de la journée, des émotions, de ce chemisier inconfortable, tout cela me poussait à m’échapper, à trouver un refuge où je pourrais enfin laisser libre cours à mes pensées, sans craindre de croiser son regard, sans redouter de céder à ce que je ressentais vraiment. Pourtant, alors que je franchissais la porte de mon bureau, je savais que cette histoire était loin d'être terminée. Que ce que j'avais ressenti aujourd'hui n'était qu'un début, une première étape vers quelque chose de bien plus grand, de bien plus complexe. Et que tôt ou tard, je devrais faire face à ce que cela impliquait pour Jordan et pour moi.

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