Tes pensées

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C'était une journée comme les autres, ou du moins, c'est ce que je m'efforçais de croire. Les couloirs étaient animés, remplis de discussions feutrées et de pas pressés. J'avais une réunion importante avec Gabriel Attal pour discuter d'une loi qui nous opposait farouchement. Rien d'inhabituel, juste un autre débat politique, une autre confrontation entre deux visions du monde.

En chemin vers la salle de réunion, mes pensées tournaient en boucle autour des arguments que j'allais présenter. Pourtant, malgré toute cette agitation mentale, mes pas m'ont conduit presque mécaniquement devant le bureau d'Orane. C'était devenu une habitude, un réflexe dont je n'avais même plus conscience, comme si, inconsciemment, je cherchais à la voir, à capter un instant de sa présence. Mais cette fois, quelque chose m'arrêta net.

La porte, habituellement fermée, était légèrement entrouverte. Un détail presque insignifiant, mais qui, pour une raison que je ne m'expliquais pas, déclencha une alarme silencieuse en moi. L'absence d'Orane, cette pièce vide, ce silence inhabituel... Tout cela contrastait avec l'image que j'avais d'elle, toujours absorbée dans ses dossiers, évitant soigneusement de croiser mon regard lorsque nous nous trouvions dans la même pièce.

Une vague d'inquiétude monta en moi. Je restai un instant figé devant cette porte entrebâillée, hésitant à entrer, à briser ce qui semblait être un moment de calme inhabituel dans une vie professionnelle si tendue. Puis, presque sans réfléchir, je poussai doucement la porte, mes pas silencieux sur la moquette, comme si je craignais de perturber quelque chose de fragile, quelque chose d'intangible mais bien réel.

Le bureau d'Orane était impeccablement rangé, tout à sa place, sauf un objet qui attira immédiatement mon attention : le carnet que je lui avais offert quelques jours plus tôt, posé sur son bureau, ouvert. Mon cœur se serra en le voyant. Je savais ce que cela signifiait pour elle, ce carnet était plus qu'un simple cadeau, c'était un symbole, un lien entre nous, un espoir que je lui avais offert, presque sans y penser, mais qui semblait avoir pris une importance que je n'avais pas mesurée.

Je m'approchai, le regard fixé sur les pages ouvertes. Mon prénom était là, inscrit en haut de la page, comme un appel silencieux. Je savais que je n'avais pas le droit de lire ce qui y était écrit, que c'était une violation de son intimité. Mais la tentation était trop forte. Peut-être qu'en lisant, je pourrais enfin comprendre ce qui se passait dans sa tête, dans son cœur. Peut-être que je trouverais dans ces mots une clé pour déchiffrer le mystère qu'était devenue notre relation.

Je jetai un rapide coup d'œil autour de moi, m'assurant que personne ne pouvait me voir, puis je pris une profonde inspiration et m'assis doucement sur sa chaise. Mes doigts tremblaient légèrement alors que je posais les mains sur les pages, comme si je m'apprêtais à ouvrir une porte interdite.

Je me penchai sur le carnet, mon cœur battant à tout rompre, et commençai à lire les mots qu'elle avait écrits : "Je ne sais pas trop comment aborder tout ça, mais peut-être que l'écrire m'aidera à mettre un peu d'ordre dans ce chaos que je ressens..."

Au fur et à mesure que mes yeux parcouraient les lignes, je sentis un poids se former dans ma poitrine. Les mots d'Orane étaient empreints d'une sincérité brute, d'une douleur que je n'avais jamais perçue aussi clairement auparavant. Chaque phrase, chaque mot était un coup de poignard, révélant une profondeur de sentiments que je n'avais pas soupçonnée.

Elle parlait de moi, de ce que je représentais pour elle, des souvenirs auxquels elle s'accrochait désespérément pour ne pas sombrer. Pourtant, ces mêmes souvenirs, au lieu de la réconforter, semblaient la déchirer, l'éloigner encore plus de moi. Elle décrivait cette distance insidieuse qui s'était creusée entre nous, ce gouffre qu'aucun de nous ne savait comment combler.

Je pouvais sentir sa douleur à travers ces mots, comme si elle était assise juste en face de moi, me parlant directement, sans filtre, sans retenue. Elle évoquait cette carapace qu'elle s'était construite, cette armure émotionnelle qui la protégeait mais qui l'étouffait aussi. Chaque mot me faisait prendre conscience de l'étendue de sa souffrance, de cette bataille intérieure qu'elle menait en silence.

Puis vient la mention de la vidéo. Cette vidéo qui avait tout changé, tout détruit. Elle se demandait si, à ma place, elle aurait pu pardonner, si tout aurait été différent si je ne l'avais jamais vue. Cette pensée me hantait moi aussi, mais lire ces mots de sa main rendait cette réalité encore plus insupportable. C'était comme si elle confirmait mes pires craintes : cette vidéo avait creusé un fossé presque infranchissable entre nous, un abîme dans lequel nous risquions de nous perdre à jamais.

La culpabilité monta en moi, mêlée à une tristesse profonde. J'avais peut-être mal jugé la situation, j'avais laissé cette distance s'installer sans essayer de la combattre, sans chercher à comprendre ce qu'elle vivait réellement. Tout ce temps, j'avais cru que c'était une question de pardon, de réconciliation, alors qu'il s'agissait de bien plus que cela. C'était une lutte pour retrouver quelque chose de perdu, une partie d'elle-même qu'elle ne savait plus comment atteindre.

Je refermai doucement le carnet, mes doigts glissant sur la couverture comme pour en absorber le poids. Je restai là un moment, immobile, le regard perdu dans le vide. Tout était si complexe, si confus. Ce n'était pas seulement une question de réparer ce qui était brisé, mais de comprendre, d'accepter cette complexité, cette douleur, et peut-être, un jour, trouver un moyen de nous retrouver.

Alors que je me levai pour quitter le bureau, mon téléphone vibra soudainement dans ma poche, me ramenant brutalement à la réalité. Je le sortis, encore perturbé par ce que je venais de lire, et vis un numéro inconnu s'afficher. Je décrochai, le cœur lourd.

« Monsieur Bardella ? » La voix à l'autre bout du fil était formelle, presque froide. « Ici le commissariat de police. Nous avons besoin que vous veniez immédiatement, c’est important. »

Une vague d'appréhension monta en moi. « Qu'est-ce qu'il se passe ? » demandai-je, tentant de maintenir mon calme.

« Nous préférons en discuter en personne, monsieur. Pouvez-vous vous rendre au commissariat dans les plus brefs délais ? »

Je jetai un dernier regard au carnet posé sur le bureau, les mots d'Orane encore frais dans mon esprit. « J'arrive tout de suite, » répondis-je, avant de raccrocher.

Je pris une profonde inspiration, essayant de me préparer à ce qui m'attendait. En quittant le bureau d'Orane, une lourdeur pesait sur mes épaules, une combinaison de ce que j'avais découvert dans ces pages et de cette nouvelle urgence qui venait de surgir. En refermant doucement la porte derrière moi, je savais que les prochaines heures allaient être déterminantes, autant pour ce que j'allais découvrir au commissariat que pour ce que cela signifierait pour Orane et moi.

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