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Je clignai des yeux comme s'il m'avait braqué un faisceau lumineux à la figure. Étourdie, j'ouvris la bouche pour dire quelque chose, n'importe quoi, mais rien n'en sortit. Grâce au ciel, le dénommé Paul choisit ce moment précis pour revenir et se glisser sur la banquette à côté d'Alessio.

« Hé, Alessio. Je fais une fête bientôt. Le week-end d'Halloween, en fait.

─ Cool, dit Alessio, et il pianota brièvement sur son portable, qui continuait de recevoir des notifs diverses et variées.

─ Venez, tous les deux.

─ Je ne sais pas si..., commençai-je, mais Alessio leva les yeux vers moi et me sourit, et mon estomac refit ce truc bizarre, et je m'entendis finir en disant : ... d'accord, pourquoi pas ? »

Mais non, qu'est-ce que je racontais encore ?! Un verre pour parler du bon vieux temps, OK, mais se fréquenter comme si rien ne s'était passé, là ça me paraissait un peu trop, quand même. Il était temps de me barrer, et fissa.

« Je dois y aller, déclarai-je à brûle-pourpoint, et je tendis la main vers ma veste.

─ Déjà ? » Firent les deux garçons d'une même voix.

Alessio leva les yeux au ciel et donna une bourrade à Paul.

« Hé, Polo ! Dis-moi, t'es pas censé bosser ?

─ Je suis en pause.

─ Pas la peine de taper l'incruste, non plus.

─ Désolé, s'excusa Paul. J'avais pas réalisé que vous... enfin... souhaitiez être seuls... ?!

─ Mais non, c'est pas ce que j'ai voulu dire. Bref, Dani, tu dois partir ?

─ Oui. Je vais rentrer. Heu... on m'attend.

─ Tu prends le métro ?

─ Non », mentis-je, de peur qu'il lui vienne le projet de le prendre avec moi.

J'avais envie d'être seule. Besoin, même. Je serrais mon sac à main contre moi comme s'il s'agissait d'un bouclier, et qu'il pouvait me protéger d'Alessio.

Que nenni.

Alessio se leva en même temps que moi et posa un billet sur la table. Ah, oui, merde, il fallait payer... Je plongeai la main dans la poche de mon jean, à la recherche des 10 euros qui devaient y traîner, mais Alessio secoua la tête :

« Je t'invite, bien sûr. C'est quand même moi qui t'ai proposé de venir. Non, pas la peine de protester, c'est vraiment rien. »

Il n'avait pas l'air de plaisanter. Je n'osai pas le contredire.

« Salut, Paul, me contentai-je donc de dire. C'était cool de t'avoir rencontré.

─ Pareil. J'espère vraiment te voir à la fête, Daniela. A plus ! »

Ces politesses échangées, je filai vers la sortie. Alessio, qui avait de plus grandes jambes, me rattrapa juste à temps pour ouvrir la porte à ma place. Je dus le frôler pour sortir, et son parfum, le même qu'avant, m'enveloppa un instant. Un flot incontrôlable de souvenirs remonta à la surface, et je reculai d'un pas, mal à l'aise. Je me retrouvai sur le trottoir ruisselant d'eau, martelé de gouttes de pluie. Plusieurs d'entre elles s'écrasèrent sur mon front pour ensuite glisser sur mon visage. Je m'essuyai d'un revers de manche impatient. Croisai le regard perplexe d'Alessio. Il devait se demander pourquoi j'étais aussi pressée tout à coup. Et alors ? C'était pas mon problème.

« Sache que moi aussi, j'ai été contente de te revoir, murmurai-je. Merci-pour-le-verre. Salut.

_ Attends. »

J'avais déjà fait volte-face pour partir, mais voilà que sa main s'était refermée sur mon bras, et qu'il me tirait en arrière, m'obligeant à faire un 180 complet. Nos regards se croisèrent de nouveau. J'attendis, un peu crispée.

« Dani. Je ne t'en ai pas voulu tant que ça, après. Tu avais été très claire. Et au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je ne t'ai pas adressé la parole non plus pendant ces trois ans. Donc, détends-toi. Je n'ai absolument pas l'intention de te courir après.

_ Je l'ai bien compris, bafouillai-je, probablement rouge comme une tomate. (J'étais mortifiée qu'il ressente le besoin de mettre les points sur les I). Toi aussi, tu as été clair... heu, tout à l'heure. »

A ma grande surprise, il tendit la main pour me caresser brièvement la joue. Je dus lutter contre moi-même pour ne pas fermer les yeux à ce contact. Ça faisait tellement longtemps... Sa paume chaude sur ma peau humide de pluie jeta un frisson le long de ma colonne vertébrale.

« Ça va, pas trop déçue ? Me taquina-t-il, cherchant à alléger l'atmosphère.

_ Non, bien sûr que non ! » Me défendis-je, un peu trop vivement peut-être.

Je n'avais pas le droit d'être déçue. Pas après ce que j'avais fait trois ans auparavant. Coucher avec lui puis ne pas assumer et couper les ponts comme ça... ouais. N'empêche, c'était un pieu mensonge. OK, j'avais pas le droit d'être déçue, mais voilà, je l'étais quand même. J'avais l'impression qu'un étau me ceignait la poitrine.

« Faut juste que j'y aille, maintenant, ajoutai-je en détournant le regard. Bon, salut.

─ Salut. »

Sans perdre une seconde de plus, je partis à grands pas sous la pluie. Je sentis qu'il me suivait des yeux ; cependant, je ne me retournai pas pour vérifier.

L'heure bleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant