Avril 2014
Mon portable se mit à sonner.
J'étais avec Mathilde, Pascal, Thibaut et les autres, perché sur le muret devant le lycée. Les cours s'étaient terminés une heure avant. On traînait, on discutait. Rien de spécial. Mathilde était lovée contre moi. Avant que je puisse l'en empêcher, sa main fusa dans la poche de ma veste en jean et en tira mon téléphone.
« Allôôôôo ? » fit-elle d'une voix exagérément traînante.
Pascal leva les yeux au ciel, faussement agacé. Ca me fit rire.
« Qui ça ? Dani ? Dani qui ? Nan mais attends, là, c'est quoi ton problème ? »
Brusquement, ma bouche devint sèche. Je pris le téléphone des mains de Mathilde.
« Allo, Dani ?
─ Ben enfin ! C'était qui l'autre crétine ? »
Sa voix était toute petite. Ca m'étonna.
« Ma copine.
─ T'as une copine, toi ? »
Son ton était incrédule. Pourquoi ? Elle pensait que je ne pouvais pas plaire à une autre fille, ou quoi ?
« Bref, tranchai-je, agacé. Qu'est-ce qui se passe ? On est mercredi, on se voit pas aujourd'hui.
─ Je sais bien, quand même. Je... en fait... Ecoute, je suis chez moi. Est-ce que tu peux passer là?
─ Non. Je suis occupé, t'as pas entendu ? On est avec des copains.
─ Ah. »
Un silence.
« Ah. OK. Bon. A plus alors. »
Elle raccrocha. J'étudiai bêtement l'écran de mon portable, avant de me décider à le remettre dans ma poche. Une pensée tournait dans mon esprit, une pensée qui me dérangeait.
Ca faisait un moment qu'on ne s'embrassait plus en se quittant.
Je ne sais pas pourquoi ou juste. Je crois que c'était de ma faute. J'étais assez froid avec Dani ces derniers temps. Je lui en voulais de tout ça, d'être juste sous mon nez et pourtant inaccessible, de ne pas me voir alors que je la voyais, moi. C'est à peine si je lui disais bonjour. Et quant à dire au revoir... J'eus un pincement au cœur, mais je l'ignorai et me joignis à la conversation qui avait repris.
Le bus 296 s'arrêta à l'autre bout de la rue. Une femme traversa au passage piéton en tenant la main d'un garçonnet tout blond. Mathilde marmonna quelque chose au sujet de Dani qui lui avait « mal parlé ». J'éludai en l'embrassant le long de la mâchoire, en lui touchant la nuque sous ses longs cheveux châtains. Elle se mit à glousser. Antoine nous regardait d'un œil envieux. Moi, je sortis mon portable pour regarder l'heure. Je n'en crus pas mes yeux : seulement une minute s'était écoulée depuis l'appel de Dani. Comment était-ce possible ?
Mathilde passa le bras autour de ma taille.
« Tu me raccompagnes ? » Me souffla-t-elle à l'oreille.
Ses yeux brillaient. Je savais à quoi ils m'invitaient. Bah, pourquoi pas ?
Nous dîmes au revoir aux autres et prîmes le chemin de chez elle. Elle habitait dans l'un des plus beaux quartiers de la ville, à dix minutes à peine du lycée. J'essayais de me concentrer sur elle, son babillage, ce qui m'attendait dans sa chambre, mais c'est à peine si je comprenais ce qu'elle disait. Dans ma poche, ma main libre triturait mon portable silencieux.
A un moment, Mathilde s'arrêta de marcher et je reconnus sa maison juste sous mon nez. Elle me décocha un sourire enjôleur, entoura mon cou de ses bras.
« Tu entres ? »
Je fis non de la tête :
« Je suis désolé, je vais pas pouvoir. J'ai un truc à faire, là.
─ Oh, vraiment... ? »
Le regard de Mathilde reflétait toute sa déception. Je sentis une once de culpabilité me traverser. Je l'embrassai brièvement sur les lèvres :
« Je t'appelle ce soir, d'accord ?
─ D'accord. Salut ».
Je partis avant qu'elle ne me retienne. Je n'étais pas tranquille. Quelque chose n'allait pas avec Dani.
**
Trente minutes plus tard, le tramway me déposait non loin de la résidence étudiante Blériot. Le ciel était bas à présent, il n'allait pas tarder à pleuvoir. Un type me dépassa sur son vélo. J'allai frapper à la porte de Dani.
J'entendis ses pas avant qu'elle ne m'ouvre, le teint pâle, les cheveux attachés n'importe comment, un débardeur froissé et un vieux short sur le dos. Elle avait un pansement sur la joue. Sans dire un mot, elle retourna dans le salon. J'entrai à sa suite et refermai la porte derrière moi.
Je l'avais déjà ramenée plusieurs fois chez elle, mais je n'étais monté qu'une fois : un jour qu'elle avait oublié son porte-monnaie. Ca n'avait pas changé depuis. Le studio de Dani était chouette. Tapisserie mauve et dorée sur moquette blanche. Un vrai foutoir organisé. Beaucoup de vêtements à des endroits inattendus (un soutien-gorge en guise d'abat-jour, un jean qui finissait de sécher sur le dossier d'une chaise). Des piles instables de magazines, deux livres de maths ouverts à un marque page, quelques tasses de café éparses, dont une encore pleine. La première fois que j'étais venu, elle m'avait dit en rigolant qu'elle se sentait perdue quand tout était trop bien rangé.
« Tu veux boire un truc ? me demanda Dani.
─ Non, ça va, merci. Dis-moi ce qui... »
Je m'interrompis, mon regard de nouveau attiré par le pansement qu'elle avait sur la joue.
Je fronçai les sourcils.
« Attends une seconde. C'est quoi ça ? »
Elle ne dit rien. Elle fuyait mon regard. Mon sang ne fit qu'un tour.
« Putain Dani qui t'a fait ça ? Jose ? » crachai-je.
Ca ne pouvait être que lui.
Dents serrées, regard de défi.
« Non, quelqu'un d'autre. Un pote à lui. C'était accidentel, il avait trop bu. Bref, inutile d'en faire tout un plat.
─ Ah ouais ? Nan mais je rêve, Dani. Comment tu peux dire ça ?! Bien sûr qu'il l'a fait exprès, tu me prends pour un imbécile ou quoi ? C'est arrivé quand ? Il est encore dans le coin ? Putain mais il va morfler, ce connard ! Je vais le...
─ Chuuut, m'interrompit Dani. S'il te plaît... serre-moi dans tes bras, c'est tout. »
Gauchement, je la serrai contre moi. Elle enfouit le nez dans mon t-shirt, inspira à fond... et fondit en larmes. Ca me serra le cœur.
Je me mis à la bercer tout en caressant ses cheveux. J'étais furieux. Je voulais torturer ce type.
« Dani... promets que tu vas arrêter de traîner avec Jose et sa bande.
─ D'accord. Promis. Et Alessio...
─ Ouais ?
─ Y'a que toi que je voulais voir aujourd'hui. Merci. »

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L'heure bleue
Teen FictionDifficile pour Alessio de ne pas craquer pour Daniela, une étudiante qui l'aide en sciences. Elle est jolie, sûre d'elle, sexy... et surtout de cinq ans plus âgée que lui. Résultat, il a la nette et douloureuse impression de n'être qu'un gamin à s...