16

1.7K 231 83
                                    


Je la regardai d'un air las.

« Si je te connaissais pas depuis dix ans, je dirais que tu as trop bu, Lisa.

─ Arrête, tu sais bien que j'ai raison. La mort de Rúben, ton année médicalisée, tu pouvais pas prévoir, c'était évidemment pas ta faute. Tourne la page une bonne fois pour toutes. Balance le livre, même, tant qu'à faire. Laisse ça derrière toi. T'es plus du tout la même en plus. »

Lisa faisait référence à une sale nuit de ma vie. Une nuit d'été à Salvador. J'en parlais très peu. Voire très très peu. Magali, par exemple, avait beau vivre avec moi depuis deux ans, elle n'en savait rien du tout. J'avais dix-sept ans, j'avais failli y passer. Je conduisais tranquillement mon scooter et l'instant d'après... voilà que je me retrouvais à l'hôpital, fractures diverses et variées, traumatisme crânien, hémorragie interne, tout le tralala. J'avais survécu, si on peut dire, mais j'avais perdu la personne que j'aimais le plus au monde. Et une part de moi-même. Celle capable de s'attacher sereinement aux autres, apparemment. Un deuil difficile à faire. De cette personne que je chérissais, et de cette part de moi. Jusqu'à ce jour je ne pense même en pas avoir terminé... Après onze mois de rééducation à l'hôpital, j'étais sortie de là radicalement différente. Je jouais beaucoup plus avec les garçons tout à coup, et je ne voulais pas qu'on m'approche pour autre chose que du flirt. Ou du sexe. Ou les deux. Mais rien de plus. Ca m'angoissait terriblement d'imaginer plus. Quel intérêt ? Ça faisait mal. Aujourd'hui, je m'étais calmée, heureusement, mais je savais qu'au fond je fonctionnais toujours de cette manière. Ce qui devenait franchement lassant.

Lisa me regardait, toujours dans l'attente de ma réponse.

« Je veux vraiment passer à autre chose, confirmai-je.

─ Tu es sûre ? Parce que des fois j'ai l'impression que ça t'arrange presque, tout ça. Ça te permet de pas trop te lancer et de pas échouer...

─ Oui. Je suis sûre. C'est peut-être à cause d'Alessio, d'ailleurs. Je l'ai laissé partir y'a trois ans puisque j'étais parfaitement incapable de sortir avec lui. Ça m'a fait mal. Je ne supporte plus d'être comme ça. Je construis rien. Je couche avec des types, je me sens bien un moment, et après c'est la chute. C'est toujours le même pattern. C'est juste que... je flippe à mort, avouai-je. Ca fait tellement mal d'espérer. Tant que j'attends rien de rien, je suis tranquille.

─ Mais quel ennui, aussi, Dani.

─ Bah je sais bien oui. Mais c'est mon lot. C'est comme ça quand on fuit les gens. Et puis Alessio, bah... je l'impressionne pas comme avant, tu sais. C'est plutôt lui qui me fait un sacré effet, maintenant. Parce que bon, Alessio, ben... je suis... enfin... il... »

Le serveur arriva à cet instant avec nos plats. Lisa attendit qu'il reparte pour me dire affectueusement :

« Tu arrives même pas à le dire ? A moi ?

─ Heu, ben si. Je l'aime, marmonnai-je en rougissant.

─ Ben voilà. C'est bien, tu avances enfin. Il était temps que tu te remettes à aimer quelqu'un. Ça fait huit ans, Dani.

─ Non, c'est pas bien. J'ai envie de me jeter par la fenêtre.

─ Parce qu'il a une nana ?

─ Parce que maintenant il a le pouvoir de me briser.

─ Pas forcément...

─ Mais si, forcément. Ça a déjà commencé. Je pense à lui 24/7, j'ai qu'une envie c'est de me jeter sur lui, et en même temps, quand j'ai de ses nouvelles – je brandis mon portable – je me sens mal parce que c'est trop et pas assez à la fois...»

L'heure bleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant