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Quatre jours après « l'incident », j'étais de fermeture au Starbucks. J'allais de fait rentrer tard à la maison, aussi avais-je décidé d'accompagner deux collègues qui avaient prévu de se bourrer la gueule après le service, Stéphanie et Julien, lesquels traînaient dans la réserve avec moi. Paul, qui avait entendu notre conversation en passant refaire du stock, nous avait observés d'un œil désapprobateur, les lèvres pincées. Je lui avais soufflé un baiser, et il avait battu en retraite vers la salle. Les deux autres s'étaient esclaffés.

J'étais de fermeture, donc. A 19h45, j'étais encore en caisse, lorsqu'une silhouette familière entra dans le café. Ni une ni deux, je pris un gobelet et commençai à inscrire le nom et la boisson qui n'allait pas manquer d'être commandée d'ici quelques secondes. Le type s'aperçut de mon manège et me fit un grand sourire, probablement flatté que je me souvienne de lui. Mais c'était assez machinal, en fait. Je l'appelais Mr Jeudi, parce que chaque jeudi, il passait l'après-midi entière au café à bosser sur son Mac ; mais en réalité, il s'appelait Raphaël. Il n'avait pas eu besoin de me le dire : c'est l'intérêt de bosser à Starbucks, on connait vite le nom des clients réguliers, et quand ils sont mignons, bah, on les retient encore plus facilement.

« Bonsoir », me dit-il.

Il avait une voix super grave et super sexy, de beaux cheveux noirs ondulés. Je battis des cils à son intention, un brin charmeuse.

« Bonsoir. Quelque chose avec votre Latte ?

─ Oui. Je prendrai un muffin aux myrtilles, aussi.»

Je glissai son gobelet sur le comptoir à l'intention de Sébastien, qui était de quart pour les boissons, et, armée d'une pince, allai chercher la pâtisserie derrière le présentoir. Je la déposai sur une assiette, posai l'assiette sur le plateau... A ce moment, je m'aperçus qu'il me suivait intensément du regard, et ralentis la cadence pour lui jeter un sourire énigmatique par dessus mon épaule. Il rougit légèrement, et je sus que le poisson était ferré. Trop facile.

Je revins vers lui, le plateau à la main, et l'encaissai.

« Heu... Excusez-moi, Daniela. Je me demandais si... ça vous dirait de dîner avec moi un de ces soirs ? »

Ah, ben quand même ! Après m'avoir dévorée des yeux pendant des semaines, Mr Jeudi se jetait ENFIN à l'eau. Sûrement parce que j'étais seule à la caisse ce soir. Je passai la main dans mes cheveux et lui souris :

« Je finis dans quarante-cinq minutes. Si vous pouvez attendre, on peut même prendre un pot aujourd'hui. Je dois sortir avec mes collègues, mais on pourra s'isoler, si vous voulez.

─ D'accord. J'adorerais ça.

─ Cool. On se tutoie ? Suggérai-je. Je pense qu'on a le même âge, non ?

─ Sûrement, oui. J'ai vingt-huit ans, et toi ?

─ Vingt-six. »

Et bah ça faisait un bien fou de se sentir la plus jeune, si vous voulez tout savoir.

                                                                                                                  *

Stéphanie et Julien partirent devant. Aidée de Seb, je déposai les invendus du jour dans la boîte prévue à cet effet, comptai la caisse, nettoyai les tables, passai la serpillière en virevoltant dans mon tablier vert. Je le laissai finir le temps de m'arranger rapidement dans le vestiaire. Le miroir me renvoya mon reflet sans faire dans la dentelle : j'étais mal, et j'avais le sentiment que ça se sentait. Je me trouvais les traits un peu tirés, quelque chose d'éteint dans le regard. Mais personne d'autre que moi n'avait à en être sûr. Mon col roulé et mon jean noirs n'étaient pas super sexy mais ça devrait faire l'affaire. Je retouchai vite fait mon maquillage avant de rejoindre Raphaël à l'entrée du café. Il m'accueillit avec un sourire craquant et nous prîmes la direction du bar.

Alessio ? Alessio qui ? Jamais entendu parler...

L'heure bleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant