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 En rentrant du basket, une semaine plus tard, je trouvai Papa, Maman et Dani debout dans le salon. J'allais dire bonjour, quand je remarquai, A : le grand brun à côté d'eux, B : l'atmosphère tendue. Je m'arrêtai net.

« Qu'est-ce qui se passe ? Demandai-je, étonné.

─ Demande donc à Daniela ! » Aboya Maman.

Elle était hyper remontée. Je le voyais à ses lèvres pincées et à ses narines frémissantes. Elle ne quittait pas Dani des yeux, laquelle Dani était rouge pivoine. Papa semblait contrarié. Quant à l'inconnu, il avait l'air de vouloir se trouver n'importe où sauf ici.

« Ecoutez, dit-il, on faisait rien de mal...

─ Ah oui ? Non mais vous vous croyez où ? Vous êtes chez des gens que vous ne connaissez pas, et vous vous permettez ! Quant à vous Daniela, c'est votre lieu de travail ici, j'ignorais qu'il fallait vous le rappeler !

─ Sophie... c'est...

─ Eh bien oui ? Qu'avez-vous à dire ?

─ Heu..., hasardai-je. Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer ? »

J'avais déjà la nausée. Je savais très bien ce qui s'était passé, je refusais juste de le voir.

« Daniela et... ce jeune homme... étaient assez occupés quand ta mère et moi sommes rentrés du centre commercial.

─ Je vois », dis-je.

Ma voix devait être aussi blanche que mon teint. J'avais l'impression d'avoir avalé un caillou tout rond. J'ajoutai avec difficulté :

« Et donc ?

─ Et donc ? S'offusqua Maman. Tu es fou, Alessio ? Tu crois qu'on la paie pour qu'elle s'encanaille avec ses petits copains ?

─ On buvait juste une bière, marmonna le type.

─ Sortez. Je ne veux plus vous voir ici. Allez ! »

Maman n'en pouvait plus, mais le poids que j'avais sur le cœur venait de disparaître. Bu. Ils avaient juste bu ! Mon soulagement m'obligea à m'appuyer au mur. J'avais l'impression d'avoir raté une marche en descendant l'escalier : sensation de vide dans l'estomac, suivie de l'emballement du rythme cardiaque. Presque au même moment, je me rendis compte que la force de ma consolation montrait que j'avais atteint mes limites, que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Je ne pouvais pas crever de jalousie chaque fois que je l'entendais glousser au téléphone avec un mec ou que je me l'imaginais en train de flirter avec un autre sur le canapé familial.

Le type coula un regard en coin à Dani. Elle regardait fixement ses bottes, toujours aussi écarlate. Haussant les épaules, il passa devant mes parents et sortit. La porte d'entrée se referma sur lui avec un bruit sourd.

Papa soupira et dit :

« Daniela, tu sais comme je t'apprécie. Tu es une gentille fille, et Alessio a fait beaucoup de progrès avec toi. Mais ça, je ne veux pas que ça se reproduise.

─ Je... Je suis désolée, bafouilla Dani. Ce n'est pas comme ça. On s'est croisé sur la place, votre maison était sur sa route, on a fait le chemin ensemble... c'est un camarade, c'est tout. Je lui ai juste proposé d'attendre Alessio avec moi, je le jure.

─ Le fait d'inviter des gens chez nous quand nous sommes absents est déjà discutable. Alors si en plus vous buvez sur le canapé, sachant que tu vas faire cours à Alessio dans la demie heure qui suit... tu comprends bien ce que nous pouvons en penser. »

Hou là. Doucement !

« Papa, intervins-je, c'était qu'une bière. Et je parie qu'elle était à lui, j'ai jamais vu Dani boire ici, et encore moins se promener avec des canettes dans son sac. Je t'assure. En plus on est samedi aprèm... OK, on a une session de révision de prévue, mais ça reste samedi...

─ Hm. »

Papa regardait Dani d'un air pensif.

« Vous allez me renvoyer ?demanda-t-elle avec une appréhension perceptible.

─ Non, répondit sèchement Maman, mais prenez ça pour un avertissement. »

Maman n'avait jamais été une grande fan de Dani, pour une raison qui m'échappait. Elle se montrait polie avec elle mais gardait ses distances. Une incartade de ce genre ne pouvait que l'exaspérer au plus haut point.

« Est-ce que vous... heu... allez en parler à mon père ? ajouta Dani, sa voix s'étouffant à cette idée.

─ Je ne pense pas, intervint Papa, coiffant Maman au poteau. Daniela, tu peux rentrer chez toi, si tu veux, et revenir la semaine prochaine. N'en parlons plus. Sophie chérie, tu viens m'aider à ranger les courses ? »

Il prit Maman par le coude et l'entraîna vers la cuisine. Aussitôt, l'ambiance de la pièce s'allégea sensiblement.

Dani marmonna quelque chose en portugais. Certainement un juron.

« Eh ben ! commenta-t-elle, l'air pas fier. Ta mère est furax. Ca craint.

─ Pas tant que ça... en un an et demi, fallait bien que tu fasses une connerie ET qu'ils finissent par te griller. Je crois pas qu'ils approuveraient non plus les fois où on joue à la Xbox et qu'on regarde Plus Belle La Vie pour se moquer... »

Elle réprima un sourire.

« C'est sûr. En tout cas, merci de m'avoir défendue, j'apprécie.

─ Détrompe-toi, c'était purement intéressé. Me retrouver avec un autre tuteur, t'imagines ? Je finirais par vraiment travailler mes sciences. »

Petit rire. Enfin !

« Merci, Alessio. Bon. Je vais rentrer. On se voit lundi soir.

─ Hm... Dani...

─ Oui ? »

J'ouvris la bouche pour lui dire, mais elle était encore gênée par ce qui venait de se passer, ça se voyait, elle tripotait ses clefs dans la poche de son sac, encore présente mais déjà partie. Aussi conclus-je simplement :

« A lundi. Et n'y pense plus, quand Papa dit que c'est oublié, c'est oublié. »

Heureusement d'ailleurs. Parce qu'il était hors de question qu'ils virent Dani : la perspective de ne plus l'avoir, de ne plus la voir me tordait l'estomac.

L'heure bleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant