L'heure bleue

8

 Je finis de tartiner les tranches de pain de Nutella et levai les yeux sur Dani. Penchée sur mon portable, l'air absorbé, elle se mordillait l'ongle du pouce. Le soleil de l'après-midi lui faisait plisser les yeux.

« Ca va ? M'enquis-je en bouchant le pot. On remonte bosser ?

─ Oui oui. Deux secondes. J'attends un mail hyper important.

─ Sur quoi ?

─ La remplaçante du prof de maths a refait le sujet du partiel de demain. Lucas a promis de me l'envoyer. Il l'a chouré quand elle avait le dos tourné. »

Je faillis m'étouffer avec ma tartine.

« Quoi ? Tu veux dire que tu vas tricher ?

─ Moi ? Non. Mais ça va aider des copains. Je vais faire tourner. »

Et elle se mit à pianoter sur le clavier. Je n'en revenais pas.

« Hé, Daniela ! T'es sérieuse ?

─ Ben oui. Après, va falloir qu'ils fassent ça bien, parce que si les deux tiers de la classe se retrouvent avec des 15...

─ Mais comment c'est trop con ce que vous faites.

─ Pas du tout, c'est une bonne action ! A la base, Lucas envisageait de les faire payer, alors... et pas avec des bonbons, hein.

─ J'hallucine ! J'arrive pas à croire que tu sois au milieu de tout ça. C'est encore pire que de juste tricher. »

Dani s'arrêta de taper et me jeta un regard exaspéré.

« Ca va, les chevilles ? Qui t'es pour parler ? Un ange tombé du ciel ? J'estime que j'ai rien à me reprocher. J'aide qui je veux si j'en ai la possibilité. Encore mieux : je fais ce que je veux ET de toute façon, c'est pas tes affaires.

─ Ouais, heureusement ! Je fais pas des plans aussi nazes, en ce qui me concerne.

─ T'es vraiment un gamin. Et qu'est-ce que t'es moralisateur, purée ! Bien sûr, toi, t'es parfait, hein ? Avec ton dossier scolaire parfait, ta petite vie parfaite. Pff ! T'as pas de problèmes. »

On aurait dit de la jalousie dans sa voix.

« Mais putain, ça m'énerve ! ripostai-je, agacé. C'est toi la gamine ! Tu trouves que c'est mature ce que tu fais ? Tu triches pas parce que tu as des bonnes notes, mais tremper là-dedans, ça reste nul. »

Elle m'ignora. Je pris mon assiette et l'emportai dans la salle à manger, irrité.

Je pensais ce que je disais : ses histoires de triche, c'était nul. Et elle avait pas à juger ma vie non plus.

En tout cas, plus que tout au monde, je détestais qu'elle me traite de gamin.

Ca ne me rappelait que trop bien nos places respectives.