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Magali tint parole et s'arrangea pour s'installer à côté d'Alessio et de Viola. Je pris place un peu plus loin, encadrée de Soraya et Damien. On se partagea le pop corn en se plaignant des pubs à rallonge.

Puis l'obscurité tomba sur la salle, et je m'efforçai de suivre le film, je m'y efforçai vraiment. Mais le problème, c'est que je tentais encore plus fort de ne pas regarder là où mon attention me sommait de regarder, c'est-à-dire, vers le coin d'Alessio, Viola et Magali. C'était horrible. C'était l'horreur. Lorsque les lumières se rallumèrent finalement, j'aurais été bien en peine de faire un résumé de l'intrigue même si ma vie en avait dépendu. Je n'avais absolument rien retenu.

« Tu viens, Dani ? » Me demanda Soraya du bout de la rangée de sièges.

Je la rejoignis et bras-dessus bras-dessous, nous suivîmes la foule vers la sortie. Deux minutes plus tard, le groupe au complet se retrouvait dehors ; de nouveau, le froid me frappa de plein fouet. Je frottai mon bras vigoureusement.

« On y va, Magali ? Je suis morte de froid... »

Au même instant, non loin de là, la voix de Viola me parvint, plaintive, comme un mauvais écho de la mienne :

« Babe, j'suis morte de froid, là... »

Je vis Alessio lui pincer le nez. Elle poussa des cris de goret qu'on égorge.

« Parce que tu crois que j'ai pas froid, moi ? S'écria-t-il, et il l'attira dans ses bras, refermant les pans de sa veste tout autour d'elle.

Viola pouffa de rire, la tête rejetée en arrière. Ses beaux cheveux noirs vinrent balayer le tissu du blouson d'Alessio, comme une aile de corbeau.

« Ca va mieux, maintenant ? » S'enquit-il affectueusement.

Viola fit oui de la tête, yeux rivés aux siens. Puis elle posa une fois de plus ses lèvres sur les siennes. Et une fois de plus, il lui rendit son baiser.

« Magali, dis-je d'une voix pressante, que je reconnus à peine. Faut rentrer. Tout de suite.

─ Bah oui, on rentre. Faut que je te parle, d'ailleurs. »

Nous dîmes rapidement au revoir aux autres. Alessio salua chaleureusement Magali, mais moi, c'est à peine s'il me regarda. Je suppose qu'il me rendait la monnaie de ma pièce de l'avoir plus ou moins ignoré dans la voiture ; toujours est-il que l'indifférence que je lus dans ses yeux me tordit l'estomac. A mon tour, je me fis distante, évitant de croiser de nouveau son regard. Enfin, après un moment qui me parut une éternité, je pus m'éloigner avec Magali en direction de là où on s'était garé. Il était presque une heure du matin ; les rues étaient silencieuses, vides de tout quidam, les trottoirs éclaboussés des flaques oranges des lampadaires. Je marchais comme un robot, transie de froid, tout en écoutant Magali babiller de choses et d'autres.

« Bon..., se lança-t-elle finalement, hésitante. Heu, mauvaise nouvelle. Je suis quasi sûre que l'espèce de top model, là, c'est sa copine. OK, Captain Obvious, mais bon... elle a des origines Malgaches, et elle est en éco comme Alessio.

─ Ah.

─ Elle arrêtait PAS de le tripoter. Un truc de malade. Ils ont réussi a me gâcher le film, ces cons ! Enfin, surtout elle, à vrai dire. Alessio n'avait pas autant... ben, les mains baladeuses, en fait. Je sais vraiment pas comment il a fait pour respirer, il était quasiment en apnée, vu qu'elle l'a bécoté tout le long. Une vraie ventouse, cette nana, je te jure !

─ OK. Pourquoi pas.

─ Dani, ça va ? T'es toute blanche.

─ Niquel », dis-je.

Sur quoi je fis un pas de côté et me penchai pour vomir dans le caniveau.

Magali poussa un cri d'effroi, surprise. Je sentis sa main se poser sur mon dos, réconfortante. Je vomis de nouveau, toussai. Finalement, je me redressai, le souffle court. Magali m'éloigna du trottoir. La sueur qui perlait sur mon front était glacée.

« Tiens, prends ce mouchoir » m'intima Magali, et je m'essuyai brièvement la bouche. Je tremblais, mais ce n'était pas le froid. Si seulement... Je sentis le regard inquiet de Magali sur moi et détournai la tête. Je ne voulais pas qu'elle voie mon visage. Si elle voyait mon visage...

« Dis-moi, Dani..., se risqua Magali avec toutes les précautions du monde. Je crois que... enfin... tu es amoureuse d'Alessio, pas vrai ? »

Même si je m'y attendais, ses paroles réussirent à me faire l'effet d'un violent coup de poing dans l'estomac. Le souffle coupé, je me pliai en deux, hoquetai :

« Non ! J'ai mangé trop de pizza, c'est tout. Regarde, j'ai mal au ventre...

─ Mais bien sûr que tu l'aimes ! (Elle écarquilla les yeux, abasourdie). Putain, c'est tellement évident en fait ! Mon Dieu, Dani.

─ C'est pas ça, je te dis ! »

Mais Magali ignora totalement mon intervention. Elle semblait presque énervée à présent.

« Tu déconnes, Daniela ! Si j'avais su, je ne lui aurais jamais demandé de venir pour l'apéro d'aujourd'hui... je ne t'aurais jamais encouragée à le voir. Je ne pensais pas que c'était aussi sérieux de ton côté. Je pensais que tu t'en foutais !

─ Ca suffit ! Rétorquai-je. Ca n'a rien à voir avec toi. J'ai la situation bien en main...

─ Ah ouais ? Et ça ressemble à quoi quand tu ne l'as pas ? A l'Apocalypse ? Bon sang, Dani, tu es amoureuse de lui. (Je me bouchai les oreilles, mais elle m'obligea à abaisser les mains). J'aurais dû m'en douter. Le jour où tu avais trop bu, tu étais vraiment bizarre. C'est tellement pas ton style de parler de mecs....

─ Bordel mais tu vas te taire, Magali !! M'entendis-je hurler. Si tu continues, je rentre en taxi ! »

Nous nous affrontâmes du regard quelques secondes. Je n'aimais pas la tête qu'elle faisait. Elle se sentait coupable. Et elle était aussi persuadée de connaître la vérité.

Ma vérité.

Tout à coup, les larmes me montèrent aux yeux. Je lui tournai le dos, bouleversée.

« Je suis désolée, chuchota Magali, affligée. Je ne savais pas. Je n'avais pas compris. Tu dis jamais rien, aussi ! C'est pas de ma faute ! En plus je pouvais pas deviner que l'autre sangsue allait taper l'incruste ! »

Je ne répondis pas et la plantai là, pour la deuxième fois en deux jours consécutifs.

« Tête de mule ! » Me cria Magali, excédée.

Je l'entendis s'installer dans sa voiture, et deux secondes plus tard, le moteur vrombissait. Elle roula au pas jusqu'à moi, vitre conducteur légèrement abaissée :

« Dani. S'il te plaît, viens. On rentre à la maison. Je m'en veux terriblement. Je suis désolée, je te dis.

─ Ne le sois pas. Ce n'est pas de ta faute. Tout ce que je veux, c'est que tu arrêtes de parler de lui. Tu comprends ?!

─ Oui. Promis. »

Elle freina. Sans un mot, je fis le tour de la voiture et m'installai sur le siège passager, les genoux remontés jusqu'à mon menton. Même si j'avais le visage enfoui dans mes bras croisés, mes épaules qui frémissaient me trahissaient.

« Pleure si tu veux, mais ceinture » soupira Magali, et elle redémarra dans la nuit glacée.

L'heure bleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant