Lorsque nous sortîmes de la maison, l'intensité du froid me surprit. Je soufflai sur mes mains couvertes de leurs mitaines. Ce mois d'octobre était mordant, pour le moins. Une partie du groupe s'entassa dans la voiture de Magali, l'autre dans celle de Damien. Je me retrouvai assise à côté d'Alessio, épaule contre épaule ; nos genoux se touchaient. Rien que ce contact plutôt chaste me donnait des palpitations. Ceci dit, je l'ignorai tout le trajet, pour me venger comme je pouvais de l'effet qu'il avait sur moi. Ce qui avait failli se produire dans ma chambre ne me disait rien qui vaille. Oui, ma réaction était puérile, voire pathétique... J'étais en colère contre moi-même, pas tellement contre lui, mais il fallait bien quelqu'un pour payer, et il faisait une cible tout indiquée, on s'y entend. Il m'observa une fois, avec insistance. Je perçus une certaine désapprobation de sa part, mais je refusai de soutenir son regard, et ça en resta là.
Magali trouva une place dans une rue non loin du cinéma, et tout le monde descendit de voiture. Notre petit groupe se mit en marche. Alessio était devant avec Antoine et Soraya. Magali et moi fermions la marche.
Lorsque nous arrivâmes finalement devant le cinéma, mon attention fut attirée par une fille qui se tenait devant le bâtiment, un peu à l'écart, l'air d'attendre. Quelque chose chez elle m'était familier ; je l'avais déjà vue quelque part. Lorsqu'elle traversa les quelques mètres qui la séparaient d'Alessio – mon Alessio – pour se pendre à son cou, la mémoire me revint instantanément.
C'était la fille qui l'accompagnait, le jour où on s'était croisé au boulot.
Laquelle fille, tirant sur le col de sa veste, l'obligea à se pencher vers elle pour l'embrasser. Alessio n'émit aucune résistance. Mon sang ne fit qu'un tour avant de se figer dans mes veines. Magali et moi échangeâmes un regard. Le sien était navré. En voyant l'expression sur mon visage, elle m'offrit une grimace compatissante et posa sa main gantée sur mon bras.
Le ciel venait de me tomber sur la tête, et je dus réunir une force considérable pour détourner les yeux d'eux.
« Viens, on va acheter les places » m'ordonna Magali sur un ton ne souffrant aucune discussion.
Je la suivis machinalement vers la rangée de machines self-service, installées juste devant les baies vitrées du cinéma. Alors que je passais à coté des deux autres, j'entendis un pan de leur conversation :
« ... Ah bon, t'es là, toi ? Demandait Alessio.
─ Bah, oui, je suis là. Ce film à la noix me disait rien, mais j'ai pensé qu'après, tu pouvais me raccompagner et dormir à la maison... qu'est-ce que t'en dis, babe ? On pourrait se détendre... sous la douche... tous les deux...
─ Ben ce soir, je sais pas trop, Vi... Je suis déjà claqué et le film a même pas commencé ! Le boulot m'a tué aujourd'hui.
─ Oh allez, viens, je te ferai un massage ! Ou deux, si t'es sage. »
Sentant que je ralentissais, l'oreille traînante, Magali m'entraîna plus fermement.
« T'inquiète, je vais aller à la pêche aux infos, me murmura-t-elle en insérant sa carte bleue dans la machine. Je vais m'asseoir à coté d'eux, et tu auras ton compte rendu après. »
Mais je n'écoutais rien. Je regardais la fille. Je ne lui avais prêté aucune attention, l'autre jour, puisque celle-ci était accaparée par mes retrouvailles inopinées avec Alessio. Mais elle était d'une beauté saisissante. Elancée, avec des attaches délicates, elle avait de jolis yeux en amande. Une peau chocolat dépourvue du moindre défaut, des cheveux coupés en carré plongeant, d'un noir de jais, lisses et brillants comme la lame d'un couteau. Elle portait un manteau ceinturé à la taille, probablement une robe en dessous, des créoles fuchsia dont la couleur vive tranchait agréablement avec celle de sa carnation, et des bottines aux pieds. Le talon était si haut et si fin qu'il aurait aussi bien pu servir à transpercer le cœur de quelqu'un... Celui d'Alessio, apparemment. Elle avait crocheté son bras au sien et lui parlait avec animation. Alessio l'écoutait avec un demi-sourire, les mains enfouies dans ses poches.
« Laisse tomber, Dani ! Me souffla Magali. Viens, j'ai les places.
─ Oui, oui... »
Je suivis Magali et nous rejoignîmes les autres, qui nous attendaient au chaud, derrière les portes vitrées. Alessio et la dénommée Viola entrèrent en dernier, apparemment pas pressés. Tandis qu'Alessio demandait un truc à Antoine, Viola tourna la tête vers moi, un air interrogatif sur le visage. Je soutins son regard, assez insolemment du reste. Elle m'accorda un sourire qui n'atteignit cependant pas ses beaux yeux.
« Salut. Je suis Viola.
─ Dani ».
La surprise et le mécontentement se succédèrent sur son visage.
« C'est toi, Dani ?
─ Oui. Pourquoi ?
─ Je ne sais pas, je t'imaginais plus... enfin moins... »
La garce ! Je me remémorai rapidement de quoi j'avais l'air ce soir : je portais une robe en jean, des collants épais en dentelle beige et des bottes à lacets qui montaient presque jusqu'à mes genoux. Plus ma veste de demi-saison. Rien de très élaboré, certes ; mais bon, j'étais pas dégueulasse non plus. Quand bien même je ne m'étais pas maquillée ce matin. Flemme.
« Et comment tu as entendu parler de moi, déjà ? » Demandai-je sèchement.
Elle fronça le nez, et je compris que ma question lui avait déplu. Bien fait ! Peut-être qu'Alessio avait évoqué le passé avec elle... d'accord, aujourd'hui il ne ressentait rien, tout ça tout ça, mais à l'époque, c'était une autre histoire, vous pouvez me croire.
Satisfaite, je me détournai. Je n'avais certainement pas envie de taper la discut' avec cette pouffiasse.
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L'heure bleue
Teen FictionDifficile pour Alessio de ne pas craquer pour Daniela, une étudiante qui l'aide en sciences. Elle est jolie, sûre d'elle, sexy... et surtout de cinq ans plus âgée que lui. Résultat, il a la nette et douloureuse impression de n'être qu'un gamin à s...