Février 2014
« Mais comment elle est trop sexy ta Dani. »
J'haussai les épaules.
« Tout est dans le « ta », tu vois. C'est seulement ma tutrice. »
Mais Thibaut et Antoine n'en démordaient pas. Ils la bouffaient carrément des yeux chaque fois qu'elle entrait dans le salon, l'air fasciné, la langue pendante.
Ca finit par m'énerver.
« Bon, Dani ?
─ Oui ?
─ Tu les trouves tes affaires ???
─ Ben ça dépend. T'as vu mon pull ou pas ? »
Elle était là, à perdre patience dans son petit décolleté, boucles noires flirtant avec ses épaules nues, très consciente de l'effet qu'elle avait sur les copains, mais pas sur moi. Pas sur moi.
Ca me rendait malade.
« Alors, on joue ? lançai-je aux deux autres, un peu brusque sans doute.
─ Ouais, dit Antoine, qui avait vraiment du mal à s'arracher à la contemplation de Dani.
─ C'est quoi comme jeu ? Lança Dani qui retournait tous les coussins du deuxième canapé.
─ Street Fighter plus Alpha, répondit religieusement Thibaut.
─ Ah ouais ? (Elle regarda l'écran de la télé, plissant les yeux dans son intérêt). Trop bien ! J'en suis. »
J'étais assis dans l'autre canapé. Ni une ni deux, elle s'affala par terre à côté de mes jambes et s'empara d'une manette. Thibaut et Antoine poussèrent des cris de joie.
Je me contentai de soupirer.
C'est vrai, ça nous arrivait de jouer à la console, généralement après un cours, quand on finissait plus tôt que prévu. Elle se débrouillait pas si mal. Mais là, j'avais invité mes potes, on avait commandé une pizza, Maman était sortie au ciné avec tante Maud (pour une fois !), et Papa terminait un dossier dans le bureau, du vieux rock à fond dans son casque. Mercredi, 21 heures 30. On était absolument tranquille. Sauf que Dani était restée après manger, et que maintenant, elle devenait le show de la soirée à elle toute seule, sans le moindre effort.
Personnellement, sa présence m'agaçait. J'avais envie de la dégager. Sauf que, si je mettais le projet en pratique, les deux autres allaient m'emmerder. Je les entendais déjà. « T'en profites presque tous les soirs, tu pourrais comprendre, Al'. » Déjà que je détestais qu'on m'appelle Al. Ca me faisait invariablement penser à Al Capone, et je trouvais ça ridicule.
Bref.
« Je prends Ryu, annonça Dani en déplaçant son curseur sur l'image du personnage. Tadaaam !
─ Ryu ? (Je fronçai les sourcils). Ah non, c'est Antoine qui devait le prendre. Vous allez devoir faire Jules feuille ciseaux.
─ Non non, c'est bon, dit Antoine, l'air important. Elle peut le garder.
─ Merci, Antoine ! T'es cool ! »
Il eut un rire gêné et remonta ses lunettes sur son nez en rougissant. Je levai les yeux au ciel. Seigneur, donnez-moi la patience.
« Et avec qui tu vas jouer, maintenant ? Repris-je. C'est le seul que tu maîtrises ! On va te laminer, ça va être relou !
─ Je me débrouillerai avec Chun Li.
─ Mais oui, on y croit. »
Evidemment, il se passa exactement ce que j'avais prédit. Antoine était pour ainsi dire pas terrible aux commandes de Chun Li, et tellement perturbé par le parfum de Dani assise tout près de lui qu'il perdit tous ses moyens, et tous les duels par la même occasion. Chaque fois qu'elle en remportait un, Dani tapait dans la main tendue de Thibaut, peu bavard mais comblé par sa présence. Quant à moi, je me fis tellement chier qu'au bout d'un moment je ramassai les assiettes sales pour les rapporter à la cuisine. Ils ne s'en rendirent même pas compte. A mon retour, Dani racontait une anecdote délirante sur ce qui lui était arrivé en soirée la semaine dernière. Avec ce Jose dont elle m'avait déjà parlé de ci de là.
« On est parti en courant avec la moitié de la tequila. Ils nous ont coursés, mais franchement, ils étaient tellement bourrés qu'ils ont pas pu atteindre le bout de la rue ! Bon, une heure plus tard, on était pas mieux avec Jose, mais tu vois...
─ Dément ! » commenta Antoine, impressionné.
Même si j'en avais déjà une bonne idée, je tentai de me figurer Dani par ses yeux. Elle était toujours assise par terre, adossée au canapé, un verre de coca dans la main gauche. Le bracelet en argent que je lui avais offert pour son dernier anniversaire tintait contre le verre chaque fois qu'elle le portait à ses lèvres. Ses yeux marron reflétaient toute sa malice ; une boucle de cheveux était collée à sa joue par la transpiration. Sans parler de son décolleté. Elle avait toujours revendiqué son bonnet B et dans cet écrin de dentelle blanche, il n'y avait qu'à admirer.
Comment de simples lycéens pouvaient-ils faire face à ce mastodonte ?
Tout à coup, je ne pus plus le supporter.
« Bon, les gars. Je suis mort, et j'ai encore la dissert' pour Ménard à terminer. C'est pas pour vous mettre à la porte mais... »
Dani me jeta un regard amusé. Elle avait elle-même vérifié l'orthographe du devoir en question après notre cours de maths. J'haussai les épaules pour lui signifier de me laisser tranquille. Antoine et Thibaut ne virent même pas l'échange.
Une minute plus tard, chaussures et vestes enfilées, ils attendaient de pouvoir faire la bise à Dani, en bon ordre. Je leur dis « A demain » et disparus dans la cuisine. La porte d'entrée claqua. Dani me rejoignit quelques instants après, son pull rouge enfilé sur un bras seulement.
« Fatigué ?
─ De toi ? Carrément. T'étais pas obligée de squatter. »
Sa tête émergea de son pull comme un champignon du sol. Elle avait l'air blessé. Je mis la bouteille de Coca dans le frigo pour m'occuper les mains, me donner une contenance.
Elle croisa les bras sur sa poitrine, commenta :
« Mais qu'est-ce que t'es sympa, Alessio.
─ C'était un truc entre nous, c'est tout. C'est pas une question d'être sympa ou non.
─ Fallait me le dire avant.
─ Ils auraient pas compris. Tu t'en doutes non ? Tu aimes les accaparer. Ca te plaît de leur plaire.
─ Comme toutes les filles du monde. Où est le mal ? Ils sont tout mignons en plus. »
Elle m'énervait.
« Bon, tu connais le chemin. Bonne nuit.
─ Rolala ! Mais le prends pas comme ça. T'es tellement sérieux ! Et mon bisou ? »
On se donnait un seul baiser sur la joue systématiquement avant de se quitter, c'était la tradition. Jamais en se voyant mais toujours en se quittant. Ignorer la tradition était bien plus insultant que de lui dire qu'elle n'était pas la bienvenue à ma soirée ; je n'avais pas l'intention d'aller jusque là. Sauf que je me sentais vraiment bizarre. Tellement tendu.
« C'est la Saint-Valentin en plus » susurra Dani en s'approchant de moi.
Elle se suréleva légèrement et me donna le baiser.
Je ne lui rendis pas.
Sentir son parfum me mit dans un tel état de nerfs que j'envisageai un instant la possibilité de la gifler. Ou de lui rouler une méga pelle. Je la regardai. Au final, je reculai en trébuchant vers l'escalier, celui de la cuisine. Presque arrivé au palier, je pivotai pour la regarder. Elle n'avait pas bougé et me fixait encore, le visage fermé.
« Bonne nuit », répétai-je plus doucement.
Et je grimpai les marches quatre à quatre.

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L'heure bleue
Dla nastolatkówDifficile pour Alessio de ne pas craquer pour Daniela, une étudiante qui l'aide en sciences. Elle est jolie, sûre d'elle, sexy... et surtout de cinq ans plus âgée que lui. Résultat, il a la nette et douloureuse impression de n'être qu'un gamin à s...