L'heure bleue

18

Daniela

« Bonsoir, Dani » dit Raphaël.

Je me rendis compte que j'étais bouche bée et clignai des paupières, plusieurs fois, comme si je sortais d'un rêve.

Ou d'un cauchemar, peut-être.

« Raphaël, je... » commençai-je avec maladresse.

Il tendit la main vers moi. J'eus un mouvement de recul instinctif, mais il se contenta d'effleurer mes cheveux raides du bout des doigts.

« J'ai failli ne pas te reconnaître, coiffée comme ça... »

Il me regarda des pieds à la tête et me fit un sourire triste. Je vis ses yeux s'attarder sur mes jambes croisées. Il était encore tôt, mais il me semblait qu'il avait un peu bu. Son regard avait quelque chose de vitreux.

« Tu es absolument ravissante, comme toujours.

─ Merci, murmurai-je d'une voix à peine audible.

─ Tu me présentes pas ? » Gloussa Sonia à côté de moi, toujours perchée sur son tabouret.

Je me hérissai. J'allais vraiment devoir présenter une fille que je supportais pas à un mec que je ne supportais pas davantage... ? Je m'exécutai sans enthousiasme :

« Sonia, voici Raphaël, Raphaël... Sonia.

─ Enchantée, dit aussitôt Sonia avec un sourire de requin.

─ Enchanté, également.

─ Qu'est-ce que tu fais ici ? » Demandai-je ensuite à Raphaël en essayant de dissimuler mon malaise.

Il me sourit de nouveau d'un air de misérable.

« Mon journal m'a demandé de couvrir les déplacements de l'ambassadeur du Gabon pour toute la semaine... Il a quitté la soirée il y a dix minutes, alors je peux en profiter, un peu. Tu es seule ? Alessio... n'est pas avec toi ? »

Putain. Déjà les sujets qui fâchent ?

« Elle est pas seule, elle est venue avec moi, intervint Sonia. Tu peux l'inviter à danser, si tu veux.

─ C'était bien mon intention », commenta Raphaël avec un petit rire réjoui.

Et il me tendit la main.

Je baissai les yeux vers sa paume ouverte, sans bouger d'un iota de mon perchoir, et la fixai un instant.

« Tu m'accordes cette danse ? » Ajouta Raphaël, théâtral.

Je voulais pas.

« Vas-y, Dani, me souffla Sonia en agrémentant ça d'un coup de coude entre les côtes. C'est juste une danse ! Amuse-toi, un peu. »

Qu'est-ce qu'elle m'énervait, celle-là !

Raphaël attendait, me regardant sans ciller, sourire figé au coin des lèvres. Je ne voulais surtout pas qu'il fasse une scène ; je descendis de mon tabouret et posai la main dans la sienne.

« Juste une » précisai-je.

Son visage s'éclaira. Il avait les yeux brillants d'espoir.

« Merci, Dani ».

Je laissai mes affaires sur le bar, pochette et téléphone, en demandant à Sonia de les surveiller. Ravie de me voir « fauter » avec Raphaël, elle hocha la tête frénétiquement et me fit un clin d'œil. Alors qu'on s'éloignait vers la piste de danse, je la vis se trémousser sur son tabouret, pour attirer de nouveau l'attention du barman. « Elle en rate vraiment pas une » pensai-je avec irritation.