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Mai 2014


Jules nous rejoignit au petit trot dans la queue :

« Désolé, y'avait un petit con qui a tenté de se garer à ma place. »

Thibaut l'accueillit avec des cris de joie. Je lui jetai un coup d'œil amusé : 23 heures, et il avait déjà trop bu. Je pris Jules par le cou, railleur :

« Alors, ça va, « Sam » ? On s'apprête à passer une bonne soirée ?

─ Merci de me le rappeler, connard. La prochaine fois c'est pour toi toute façon. »

Et il ajouta en matant les filles devant nous, appréciateur :

« Je vois que y'a de la bonne meuf ce soir ! »

Il y avait surtout du monde. La file s'étirait paresseusement de l'entrée de la boîte à notre portion du trottoir. On était déjà venu deux ou trois fois au Prescott, mais ce soir, le DJ était un peu connu : ceci expliquait cela. Aucune importance. J'étais atrocement détendu. Il fallait remercier les deux bars où on était allé boire des bières avant de se pointer ici.

« Hé, dit soudain Antoine, on dirait Mathilde ».

Je lui décochai une moue indifférente, mais il insista, replaçant ses lunettes correctement sur son nez :

« Elle te parle toujours pas ?

─ Non. Et je m'en fous.

─ Pfiou, commenta Antoine, t'es dur non ?

─ Hey, Antoine ? Intervint Jules en tirant une cigarette de sa poche. Pourquoi tu commences à la ramener avec des histoires qui font chier ? On est là pour s'éclater, t'as oublié ? »

Je me déconnectai de leur conversation. Un groupe de filles, plus loin, m'était familier. Je plissai les yeux et tout à coup, je reconnus Camille et Soraya, les copines de Daniela, une seconde avant de la repérer elle-même. Négligemment appuyée à l'épaule de Camille, elle racontait quelque chose à deux autres filles, que je n'avais jamais vues auparavant. Mes jambes étaient devenues aussi molles que de la guimauve, constatai-je avec dépit. Et j'aurais préféré qu'elle soit un peu moins jolie. Ces yeux très fardés de noir, les pointes de ses cheveux qui frôlaient ses épaules dénudées par son top bustier... A son poignet, le bracelet en argent que je lui avais offert brillait fidèlement quand elle bougeait la main. Elle portait un jean noir tout simple, mais je la trouvai tellement plus attirante que les autres en jupe courte. Ça n'avait aucun sens. Enfin, je...

Coup de coude entre les côtes.

« Hé, t'es encore là, Al Capone ?

─ Arrêtez de m'appeler Al, putain.»

Rires.

*

La boîte n'était pas immense, on finit inévitablement par se croiser. Comme elle avait pas mal bu aussi, elle me sauta littéralement au cou en me reconnaissant au détour d'un groupe de danseurs. Sa réaction était exagérée, mais je n'allais certainement pas m'en plaindre. Je fermai les yeux une seconde, le nez dans ses boucles, pour respirer à fond le parfum abricoté de son shampoing. Un instant plus tard, elle virevoltait sur la piste au bras de Soraya, puis à celui d'un parfait inconnu qui la serrait de près par les hanches. Immédiatement, la jalousie m'écorcha sans aucune pitié.

Je me tournai vers le bar pour commander une tequila de plus, histoire de finir plus vite bourré, et pourquoi pas d'oublier tout ça encore plus vite.

*

« Mais qu'est-ce qu'il y a ? »

Surpris, je considérai Mathilde assise sur mes genoux. Elle me regardait elle-même d'un air légèrement irrité. Ca devait faire un moment qu'elle me parlait, et je ne m'en étais pas rendu compte. En une seconde, ça me rappela la dernière fois, quand on s'était disputé. La même sensation de malaise, de ne pas être au bon endroit avec la bonne personne. Je vérifiai l'heure à mon portable. 1 heure passée. Mathilde se pencha vers moi. Elle sentait bon. Elle m'embrassa de nouveau.

« Viens, on va danser. »

Elle m'entraîna. La musique me plaisait, je réagis sans réfléchir. Mathilde me sourit, attira mes mains sur ses hanches.

« Alessio... »

Je cherchai les autres du regard. J'avais envie d'être ailleurs. Jules buvait une vodka au bar et baratinait une jolie brune. Antoine dansait comme un possédé de l'autre côté de la piste, en face de Thibaut qui discutait avec un type du lycée, croisé là par hasard.

« Je reviens » lançai-je à Mathilde, mais je ne sais pas si elle m'entendit.

Je sortis. La rue parisienne était paisible sous la lumière des réverbères. Quelques personnes du club s'étaient réunies là pour fumer. J'allais m'asseoir sur les marches qui menaient à une supérette, de l'autre côté de la rue, quand Dani me tomba dessus de nouveau.

Oh, merde.

« Heeeeeey, Alessio !

─ Salut », dis-je avec réserve.

Ses beaux yeux sombres me fixaient avec une tendresse telle que je détournai la tête. Elle m'aimait beaucoup. Je le savais bien. Ça me rebutait.

Ce n'était pas assez.

Elle me contourna pour me faire face, posa lourdement les mains sur mes épaules:

« Pourquoi tu danses pas ?

─ Fatigué.

─ Ton pot de colle t'as remis le grappin dessus, à ce que je vois, hein ? »

J'haussai les épaules.

« Tu me fais un bisou ?

─ Pardon ? »

En guise de réponse, elle tapota sa joue en riant. Je la regardai. Mon cœur était tout serré, comme trop à l'étroit dans ma poitrine. Avec raideur, je me penchai pour déposer un baiser sur sa joue. Elle me retint une seconde par le col de ma chemise pour me le rendre affectueusement. En plein sur la bouche. J'en eus un joli nœud dans le ventre.

Je la regardai, elle me regarda. On était à quelques centimètres à peine l'un de l'autre.

Sans prévenir, elle se haussa sur la pointe des pieds et écrasa ses lèvres sur les miennes. Un gémissement s'échappa d'entre mes dents. Je passai la main derrière sa nuque, juste sous la cascade de ses cheveux, pour la rapprocher un peu plus de moi. Et je l'embrassai. Avidement. A ma grande surprise, elle me rendit la pareille. Je déposai des baisers dans son cou, remontai pour mordiller le lobe de son oreille, embrassai son joli menton et revins à sa bouche charnue. Je sentais son cœur battre à cent à l'heure contre ma poitrine.

« Daniela..., commençai-je prudemment, hésitant.

─ Oui ? haleta-t-elle en me regardant dans les yeux. Quoi ? »

Sa voix était hésitante. Je voyais presque sa réflexion. Elle se demandait si je n'étais pas en train de la prendre au sérieux. Voilà que son regard devenait méfiant, incertain.

« Dani je pense à toi toute la journée... c'est dingue ce que tu me plais, je... »

Je sentis Daniela se raidir. Merde, merde. Mon petit discours n'avait pas l'air de lui plaire. Ses yeux s'agrandirent ; puis elle fronça les sourcils, se détacha de moi.

Elle fixa ses chaussures.

« Alessio, arrête ça tout de suite.

─ Ecoute, Dani, j'en ai marre de tourner autour du pot.

─ NON, arrête ! Je t'ai déjà dit que je voulais pas qu'on... je ne veux pas parler de sentiments, tu comprends ? Si c'est ce que tu veux, je peux rien pour toi. Je veux pas te faire mal alors arrête ! »

Elle s'interrompit, pinça les lèvres. Puis elle secoua la tête avec consternation et retourna à l'intérieur de la boîte.

J'allai m'asseoir sur les marches que j'avais repérées plus tôt, restai là un moment, à observer le ciel noir et les gens qui discutaient près de l'entrée de la boîte. Certains échangeaient des trucs pas nets. J'étais fatigué, tellement fatigué. J'envoyai un SMS aux autres pour les prévenir que je partais, puis je me mis à marcher dans les rues calmes, à la recherche d'une bouche de métro que je trouvai un peu plus loin. Juste avant de sortir ma carte Navigo de ma poche, je me frottai les yeux, observai ma main.

On aurait dit qu'il y avait des gouttes de pluie dessus.

Je levai les yeux vers le ciel.

Pas le moindre nuage.

L'heure bleueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant