6-Ne surtout pas ressembler à ma mère.

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Tic tac! Son horloge interne résonna! Ou alors était-ce l'alarme journalière bloquée sur son téléphone portable. Dans n'importe lequel des cas, elle était de nouveau consciente, totalement vivante.

Elle s'étira sans la moindre once d'esthétique, bâilla comme pour avaler le monde. Puis elle sentit ses muscles revigorés, ses os retrouver leur place, la tentation du sommeil fuir son visage.

Quoi qu'il en fut, la première image qui lui vint à l'esprit fut celle de la veille: leur dispute à propos de sa façon de voir les choses, son idée saugrenue de concevoir in vitro, alors que sa physiologie était on ne peut plus apte. Mais elle n'était pas près de se laisser faire; elle ne voulait pas ressembler à sa mère... Surtout pas à elle. Et dire qu'elle avait été le souffre-douleur de cette femme, qui pourtant était censée être son plus fier refuge. Elle ne voulait en aucun cas devenir le bourreau de ses enfants. Jamais.

Arrêtée au seuil, elle le trouva allongé, occupant strictement le côté du pageot qui lui appartenait. Elle traversa la porte sans ombre de bruit. Personne ne l'avait rabattue la veille, tout le monde était beaucoup trop occupé à ruminer son amertume. Elle retira ses chanklettes, les laissa au pied de la porte qui donnait sur la douche.

À son insu, il se retourna dans le lit, observant la salle s'enclore derrière elle.

Alors que Aqua serpentait par dessus sa peau frêle, Bineta ne pouvait s'empêcher de se remémorer ce jour, le premier où leurs chemins s'étaient croisés: l'idiot téléphonait au volant. Pourtant, il paraissait lettré, bien éduqué. Et s'il conduisait, il avait forcément connaissance du code routier. Il allait passer un carrefour, mais il n'avait même pas daigné faire un peu plus attention. Et moi qui circulais peinarde sur ma petite moto, qui aurait cru que cet irresponsable était sur le point de m'enterrer? Heureusement donc que ses freins débordaient d'énergie, un coup et je fus sauvée! Enfin... Sauvée de la mort, mais pas de lui.
Un bel avant-midi, il avait surgi chez moi, chez mes parents! J'avais à peine vingt ans. Et si c'était ma mère qui avait ouvert ce jour là? Je n'oserais y penser.

- Bonjour mademoiselle.

- Oui bonjour monsieur.

Jusque là je ne le reconnaissais pas, jusqu'à ce qu'il me narrât notre première rencontre; comme pour me la faire vivre à nouveau...

- Vous m'aviez lancé l'un de ces regards noirs. Et là je me suis dis tiens, il faut que je revois cette femme.

Respectueuse de mon sale caractère, je me fis l'immense plaisir de lui claquer la porte au nez. Il pouvait aller dire ça à sa mère.

C'est sans doute à la seconde où je lui avais claqué la porte au visage, qu'il s'était juré de m'avoir. Je n'étais pas une grande connaisseuse dans ce domaine, mais j'avais appris à mes dépens, que les hommes aimaient bien courir derrière les femmes féroces, par égo. Plus rien ne m'étonnait.

Son obstination, sa persévérance sans pareille, sa gentillesse impensée, l'abnégation de cet homme, j'avais tôt fait de contracter cette maladie: j'étais tombée malade de lui.

À la seconde où elle tira sur la porte de la salle de bains, il referma ses yeux, immobilisa solidement son corps. Il était hors de question de commencer la journée par une dispute.

Elle épongea le reste de son corps en le regardant. Et pendant tout ce temps, il ne bougea ni ne pipa mot, attendant patiemment qu'elle s'en aille enfin, qu'elle vaque à ses nobles occupations.

Elle enfila une tunique midi, l'un des rares vêtements qu'elle parvenait à se mettre, sans avoir à mener une grande bataille avec son propre corps. Et elle vaqua à ses nobles tâches.

Aussitôt après, il quitta le lit. En traversant l'embrasure, il remarqua solennellement les tatanes noir-châtaigne de Bineta, au bas de la porte sur l'essuie-pieds. Un coup d'œil rapide au coin de la pièce, celui qui encadrait la commode grandeur nature et la penderie. Il devinait les sandales qu'elle avait enfilées.

Il ne lui fallut pas plus qu'une douche pour reprendre son territoire en mains. Les premières minutes de son samedi, il les passa à la regarder faire le ménage dans la cour. S'il y avait bien une chose que l'on ne pouvait reprocher à cette dame, c'était sa promptitude aux travaux domestiques: elle ne les ratait jamais, pour rien au monde, aucun d'entre eux. Leur baraque scintillait à des kilomètres à la ronde.

Puis, Mamadou s'enfonça dans sa cabine à l'étage pour ne plus en sortir.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant