74-Le grand marabout.

50 8 0
                                    

Un double klaxon retentit dans les airs. Il n'y avait aucun doute, c'était bien devant chez eux. Ils se jetèrent tous un regard, sauf Hawa qui demeura penaude.

- Ça doit être Cheikh, devina Coumba. Je vais chercher mes affaires.

Il y avait encore de la gêne dans l'air. Bineta n'avait plus rien dit, elle tournait en boucle cette révélation dans la tête.

- Vas t'asseoir Hawa, ordonna-t-il à sa cousine.

Elle obéit et s'assit là où était Coumba. C'était assez embarassant, car Bineta était alors juste en face d'elle. Pour supporter cet inconfort, elle baissa sa tête, loin de tous les regards.

Mamadou s'assit à son tour, tout près de son abidjannaise. Elle se sentait un peu bête, mais pas plus que soulagée de savoir son chéri innocent. Elle lui adressa un sourire timoré et alourdi. Comprenant le malaise de son épouse, Mamadou lui prit délicatement chacun de ses doigts. Bineta souffla et les resserra autour de la main qui les réchauffait.

- Hawa, reprit-elle.

- «Grande-sœur».

- Comment ça s'est fait? Tu es allée la voir ou alors c'est elle même qui est venue?

Hawa parlait en Soninké. Bineta ne comprenait pas, mais elle était désormais assez patiente pour attendre que son époux traduise.

Coumba descendait déjà, son sac accroché à l'épaule. Son mari l'avait appelée pour confirmer son arrivée. Mais lorsqu'elle lui proposa d'entrer saluer les maîtres de la maison, celui-ci avança une excuse.

Hawa finissait de parler. Mamadou allait faire un résumé de tout ce bavardage à Bineta lorsque Coumba s'interposa. Mais elle s'adressa à Hawa et lui posa une question, que seule Bineta ne parvint pas à saisir. Cette sensation d'être mise à part.

- Pour ta question, elle a dit qu'un jour, alors qu'avec mon frère, ils étaient allés voir nos parents, tantie l'a prise à part pour lui souffler cette idée.

- Et qu'est-ce que toi tu lui as dit?

- Je lui ai demandé si le string était le sien.

- Et?

- Elle a dit que c'est tantie qui lui a donné.

C'était de plus en plus bizarre.
Bineta entrouvrit sa bouche.

- Ce sous-vêtement... était celui de l'épouse de ton père?!

Hawa protesta.

- Alors? S'impatienta Bineta vis-à-vis de Coumba.

- Elle dit que c'était pas à tantie. Et qu'elle lui avait dit l'avoir ramené de chez le grand marabout.

Du gri-gri, c'était la totale.

- Écoutez, reprit Coumba, je ne comprends pas encore tout ce qui se passe ici, mais je vois bien que c'est grave. Et si vous voulez mon avis, avec l'implication de tantie, c'est encore plus compliqué parce qu'elle n'a aucun intérêt à voir mon frère prendre une seconde épouse. C'est exactement ce que veut papa et... je ne crois pas qu'elle haïsse Mam, mais de là à vouloir le rendre mieux qu'il ne l'est déjà aux yeux de papa, ça n'a aucun sens.

- Tout à fait Coumba. Je suis aussi confus que toi.

- Oh mais je ne suis pas confuse du tout. Je pense plutôt comprendre.

- Qu'est-ce que tu veux dire?

Tut tut! Cheikh, apparemment impatient klaxonna de nouveau.

- Eh bien vous comprenez déjà que je ne peux pas rester plus longtemps... Alors, j'y vais mais... je reviendrai demain. Et là, vous allez tout m'expliquer, depuis le début.

Elle donna la bise à son frère, le calîn à sa belle-sœur et gagna la sortie en trombe.

- À demain les tourtereaux!... Oh et... Cheikh vous passe le bonsoir!

Bineta soupira et passa les doigts sur ses lèvres entrouvertes.

- Tu vas la ramener chez Marcus?

- Non, il est tard, je trouve. Marcus habite un peu loin alors... je me suis dit qu'elle passerait la nuit ici. Ils sont avertis... Marcus et sa femme.

Bineta zieuta l'invitée indésirable et acquiesca lentement de la tête. Elle n'était pas sûre. Pour elle désormais, Hawa n'était plus une personne de confiance. La laisser dormir sous le même toit qu'eux ne la rendait pas quiette. Elle imaginait tous les scénarios possibles. Qui savait quel autre tour saugrenu pouvait trotiner dans l'esprit de cette Hawa? Elle avait bien tenté d'envoûter son mari, non? Qui disait qu'elle ne serait pas capable de récidiver? Ou pire, tenter de l'éliminer elle, ou son futur bébé...

- Non.

- Quoi ça?

- Elle ne peut pas rester ici.

- Mais...

- Fais ce que je te dis Mam.

Il souffla. Il voulait plus, un argument.
Elle s'appuya alors sur la main de son mari pour se relever. Ils se cachèrent dans la cuisine, loin des oreilles de la cousine.

- Cette fille ne peut pas rester ici.

- Pourtant tu viens d'accepter.

- Eh bien j'ai changé d'avis. Je n'héberge pas des sorcières sous mon toit.

- Sorcières?

- Mam, elle a tenté de te séduire, et j'ai fermé les yeux, d'ailleurs je n'aurais pas dû. J'aurais dû te forcer à la mettre dehors dès le départ. Et comme sa tentative n'a pas marché, elle a tenté de t'envoûter. Dieu seul sait ce qu'il serait arrivé si je n'avais pas vu ce truc dans ton armoire la première. Tu serais sans doute en train de courir derrière elle comme un fou.

- Elle est naïve ma chérie, elle ne faisait qu'écouter...

- Une autre sorcière comme elle. Je suis désolée, ta marâtre est une sorcière... Et moi qui la respectais.

- Bineta arrête de te prendre la tête. Et je te prie de rester respectueuse.

- Pourquoi ne pas te livrer directement au grand marabout tant qu'on y est? Cette fille ne dormira pas ici, un point, c'est tout.

- T'as vraiment envie que je ressorte la déposer, alors que je suis aussi fatigué?

- Appelle-lui un taxi, mets la dans un avion, je m'en fous! Tant qu'elle fiche le camp de chez moi.

- Et...

- Et si tu ne le fais pas, c'est moi je vais dormir dehors... Tu me connais Mam, tu sais que j'en suis capable.

Il savait qu'elle en était capable.
Il la souleva sans prévenir.

- Mais... Tu fais quoi?

- Je te ramène dans ton siège. Je vais la raccompagner jusqu'au bord de la voix, là-bas elle trouvera plus facilement un taxi.

- Toi tu es trop naïf, ma vie.

- Je ne veux pas qu'elle traverse ce quartier toute seul. Il se fait tard et c'est dangeureux pour une jeune femme comme elle.

- Gnan gnan gnan gnan gnan gnan.

Il reposa Bineta en faisant attention à ne pas brutaliser sa cheville foulée. Elle évacua un gros souffle en le toisant.

- Moi aussi, je t'aime ma chérie. Répondit-il en ballottant ses joues entre ses mains.

Hawa assista à la scène, un peu envieuse. Elle se demandait quand est-ce qu'elle aurait droit à son Mamadou.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant