35-De retour au bercail.

76 8 1
                                    

Derrière les nuages et les oiseaux, l'horloge terrestre tournait vaille que vaille. Qui pour l'arrêter? Même pas la mort. Les cieux ténébreux poursuivaient les cieux océan sans jamais pouvoir les rattraper. La lune désirait toujours le soleil mais arrivait toujours trop tard pour le voir. Les étoiles cherchaient toujours la lumière diurne et pourtant partaient trop tôt pour la découvrir.

Deux heures de vol s'étaient déjà écoulées. Bineta avait réussi à s'endormir contre toute attente, miroitant un ange dans son sommeil.
La tête penchée vers son mari, la présence de son esprit dans son corps se manifestait par sa petite respiration. Il ébaucha un sourire et risqua de la réveiller en incrustant un bisou sur son front.

Terre!
Au bout de deux autres heures, le gigantesque oiseau retomba sur ses roues.

Bineta retrouva la terre en bâillant.
Mamadou la retrouva inquiet. Il espérait qu'elle ne se laisse pas aller à la vengeance. Sa mère était peut-être détestable, mais la renier... Il y avait une partie de lui qui ne l'acceptait toujours pas.

Ils embarquèrent dans un taxi.
Elle aurait dû en être émerveillée, mais au travers de cette glace, elle ne voyait pas courir les bâtiments et le vide teinté de sa terre natale. Elle voyait des images de son passé, amalgame de tristesse et de joies.

Puis le véhicule dépassa l'hôpital, celui où son père avait rendu son dernier souffle, l'hôpital où elle avait compris à quel point elle n'était qu'une erreur du système. Elle y avait perdu l'envie de professer, oublié son diplôme d'infirmière. C'était le lieu où elle était définitivement devenue une femme de haine, prisonnière de ses propres peines, des ultimes mots de sa mère.

- Tu n'étais qu'un accident! Un fichu accident! Je n'ai jamais voulu t'avoir! Tu as bousié mon corps et tu as brisé mes rêves! Et maintenant tu as tué ton père! Il était tellement perturbé de te voir partir si loin de lui qu'il s'est trompé de casserole. Depuis 20 ans de mariage, il a toujours fait la différence quand il voulait se servir. Mais cette fois, par quelle magie je ne sais, il ne s'est pas rendu compte que la casserole qu'il avait choisie contenait la soupe bourrée de crevettes! C'est de ta faute! Tu n'aurais pas pu te contenter de trouver un mari en Côte d'Ivoire comme toutes les filles normales, non! Il a fallu que tu fasses ta maligne encore une fois. Eh bien, toi et ton sénégalais de malheur, partez et ne revenez plus. Parce que si jamais je vous revois dans les environs, je vous tue! De mes propres mains... Ça ne t'a pas suffi de me voler son attention, il a fallu que tu me l'arraches aussi... Ô tu n'imagines pas à quel point, à quel point je regrette n'avoir pas réussi à avorter de toi! J'ai tenté deux fois pourtant! Tu n'aurais jamais dû naître! Jamais!

- Pourquoi tant de haine maman?

- Maman?! Tu n'as pas de mère! Ne m'appelle plus jamais comme ça parce que je ne suis pas ta mère!

Elle serra les dents, laissa l'amertume se dissoudre dans ses veines encore une fois. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait accepté revenir voir cette «horrible mère».

- Ça va?

Elle quitta la fenêtre et laissa sa tête sur l'épaule de Mamadou.

- Ça va.

La maison de son père n'avait jamais changé. En réalité, c'était l'héritage laissé par son grand-père qui avait été fructifié et rénové.

Elle posa une sandale au sol, opposa sa tempe à la portière qu'elle tenait de ses deux mains. Toute sa tendre jeunesse avait laissé ses empreintes dans cette maison. Son souffle se mélangea à la brise et ses souvenirs à la réalité.

Mamadou descendit de l'autre côté, dégagea le coffre de leur unique valise, accrocha son sac à dos et referma la malle arrière. Même le bruit agaçant de cette fermeture ne réveilla pas Bineta de son absence.

Il vint à elle et lui tendit une main qu'elle n'hésita guère à saisir.

La devanture était éclairée par deux luminaires jadis absents. Et bien qu'il sonnait déjà vingt-deux heures, la cour semblait particulièrement animée. Le portail était déjà verrouillé. Le pouce de Mamadou pressa sur la sonnette et le portail s'ouvrit grandement sous leurs yeux.

Un garçon deux fois moins vieux que Mamadou apparut. Son teint avoisinait le Mocha et son short de sport flottait sur lui. Son marcel blanc semblait tout sauf neuf et son sourire illuminait presque la nuit.

- Tchiii... Bineta! C'est toi ça?

Il avait l'air aux anges.
Il glissa sa tête derrière le portail.

- Les gars, venez voir qui est là!

C'était Moussa, le petit-frère de Mélinda, la camarade de Karidja qui habitait dans l'un des appartements. Il était l'un des rares de la maison à être en bons termes avec la fureur du quartier. Sa sœur n'était plus de la cours car elle avait dû déménager pour l'université. Cependant, elle était venue rendre visite à sa famille, tout spécialement à Karidja.

Au bout de quelques secondes, un garçon plus jeune et Mélinda gagnèrent l'entrée. Seydou s'accrocha aux cuisses de Bineta. Il lui arrivait à peine à la ceinture, autrement Mamadou lui en aurait collé une bien bonne.

- Mais qu'est-ce que tu as grandi!

Le petit bonhomme à qui elle avait changé ses couches était devenu grand, il avait déjà cinq ans tout de même! Elle n'aurait même pas imaginé qu'il l'aurait reconnue. Cela faisait plus de deux ans qu'elle était définitivement partie.

Enfin satisfaits de leurs retrouvailles, ils saluèrent Mamadou, lui prirent la valise de la main mais il insista pour garder le sac à dos. Son boulot tout entier y était. Les quelques trois autres locataires qui traînaient encore dans la cour souhaitèrent vaguement la bienvenue au couple.

Karidja était allongée dans le lit, près de sa mère. Ayant perçu les bruits joyeux dans la cour, elle laissa sa curiosité la mener jusqu'a la véranda. Après des années sans nouvelles, elle allait pouvoir serrer sa sœur dans ses bras.

À l'unanimité, les deux sœurs écartèrent tout obstacle de leur chemin et se jetèrent l'une dans l'autre.
Toute l'assemblée souriait autour de cette réunion, Mamadou le premier. Il était temps.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant