75-Table ronde.

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Coumba était revenue chez son frère le jour d'après. Le soir venu, Mamadou rentra tôt pour discuter avec elles. Coumba avait émis ses hypothèses aussi cinglantes que réalistes. La façade de leur parfaite famille polygame s'effondrait. Mamadou espérait que sa sœur ait tort. Mais même si c'était le cas, les autres possibilités qui pouvaient s'offrir à eux auraient sûrement été pires.

C'était décidé. La situation était bien trop inquiétante pour être tue. Mamadou allait en discuter, directement avec le grand chef Cissé. Cela n'aurait rimé à rien de se jeter directement sur sa marâtre. Son père était un homme sage. Et c'était, sa maison, ses femmes, son foyer. Il saurait quoi faire.

C'était le grand jour. La vérité allait enfin briller de tout son éclat.
Toute la famille était réunie au salon, du moins, tous les adultes de la famille: les trois épouses de Cissé sénior, les deux aînés Mamadou et Coumba, le grand roi du palais, Bineta, et enfin, le témoin protégé Hawa. Sa présence était absolument requise.

C'était du pur Soninké. Pauvre Bineta.

- «Bon après-midi à tous.»

- «Bon après-midi ladji»

- «Comme vous le voyez, j'ai aujourd'hui convoqué une réunion générale. C'est plutôt rare, n'est-ce pas?»

- «En effet», confirma Fenda.

- «Eh bien, comme on dit, le linge sale, se lave en famille, n'est-ce pas? Et donc, nous allons laver le nôtre, en famille.»

Sadio zieutait régulièrement Hawa. Cette dernière, correctement assise auprès de son cousin, malgré Bineta, avait la tête constamment baissée. Elle sentait sa douche venir. Et elle redoutait la vengeance de l'épouse de son oncle.

À la minute où El Hadj Cissé avait lancé cette rencontre, tout le monde s'était installé dans le séjour. C'était seulement là que la troisième épouse découvrait la présence de Mamadou, Bineta et Hawa. Personne à part le père, Mamadou et son épouse n'étaient au courant de cette rencontre avant le jour. Mamadou était allé, une fois encore, pêché sa cousine chez ses nouveaux patrons. Marcus était au courant que c'était pour une importante affaire de famille, il n'en savait pas plus.

- «Bien. J'espère que tout le monde a bien mangé, car ventre affamé n'a point d'oreilles.»

Plusieurs têtes voilées acquiescèrent.

- «Voici mon fils aîné Mamadou, n'est-ce pas que tout le monde le connaît? Son unique épouse Bineta et la fille de mon cousin, Hawa... Il y a de cela une semaine, le jeudi passé, mon fils et son épouse sont venus me poser un problème non négligeable. Et c'est pour cela, que j'ai jugé juste de vous convoquer tous. C'est un problème qui me tient fortement à cœur, car non seulement il touche la vie de mon fils, mais peut-être aussi la mienne... Bineta, tu as la parole, raconte-nous ce qu'il s'est passé.»

Sadio déposa sa joue dans sa paume, tira la gueule, jalouse qu'autant d'attention soit portée à Mamadou et son foyer.

- «Adopte une position normale Sadio. On n'est pas à un enterrement.»

Pendant que Sadio s'exécutait à contre cœur, Mamadou traduisait la demande de son père à son épouse, assez bas pour ne pas paraître impoli.

- Mais... je ne parle votre langue.

- Ne t'inquiète pas ma chérie, tout le monde ici te comprendra. Mon père connaît déjà l'histoire alors il n'en a plus besoin.

Elle se racla la gorge, se redressa dans le divan. Son orthèse était cachée sous son jellaba vert et orange.

- Papa, mes chères mamans, je vous salue. Je tiens d'entrée de jeu à remercier papa, de prendre notre problème autant à cœur, et vous mes mamans...

Sans compter Sadio.

- D'avoir répondu présentes à cet appel, qui nous implique tous... Il y a de cela plus d'une semaine, j'étais à la recherche d'un pagne à moi... Il se trouvait qu'en voulant voyager pour la Côte d'Ivoire, dans la période où ma défunte mère - paix à son âme - était très malade, j'avais également fait les bagages de mon mari. Je me suis donc dit que j'avais dû oublier mon pagne dans son armoire, par mégarde. Alors, je l'ai ouvert et je me suis mise à fouiller. Et j'ai trouvé... Mais quand j'ai soulevé mon pagne, j'ai reconnu un...

Trop la honte.

- Un str... Un sous-vêtement de femme, qui n'était pas à sa moi.

- Hummmm, intervint Sadio sous le regard admonestant de ses co-épouses.
«Tu vois non ladji? Ton fils là, depuis on lui dit de prendre une deuxième femme, mais il est là à jouer les saints. Voilà maintenant il a commis l'adultère.»

- «Personne ne t'a rien demandé Sadio. Si moi je n'ai pas réagi, ce n'est pas à toi de le faire.»

Heureusement pour Sadio, que Bineta n'avait pas compris ses dires. Elle ne lui aurait rien fait, par respect. Mais elle l'aurait tuée d'un simple regard.
Sadio, quinaude, s'adossa violemment.

- «Et toi, tu regardes quoi?» Apostropha-t-elle la deuxième épouse, qui la fixait piteusement.

Aucun respect pour ses aînées la petite.

- «Mam.»

- «Oui père.»

- «Dis à ton épouse de poursuivre.»

- Vas-y ma chérie, tu peux continuer.

- Au début, je croyais que mon mari m'avait trompée et je lui en voulais... Mais j'ai eu tort parce que, le... mardi soir passé, Hawa est venue à la maison, avec mon mari.

Le souffle de Sadio se coupa à l'instant où Bineta évoqua le prénom de Hawa. Elle aurait dû se douter qu'ils en viendraient là. Sinon, que serait venue faire la petite villageoise à une réunion concernant l'infidélité de Mamadou? Sauf, si elle était la maîtresse avérée ou une potentielle future épouse pour Mamadou.

- Je ne m'y attendais pas du tout, quand elle a avoué avoir déposé le sous-vêtement dans les affaires de mon mari.

La mine de Sadio se décomposa.
Sira claqua des doigts, en signe de scandalisation. Fenda porta le revers de sa main à sa bouche.

- Hawa?! S'exclama Sira. «Sais-tu que ton acte est aussi grave que l'adultère? Tenter de semer la zizanie dans un foyer... Inch'Allah, le ciel ne te punira pas, parce que tu as été honnête.»

- «Papa», intervint Mamadou.

- «Mon fils.»

- «Bineta a fini.»

Bineta n'avait pas compris, mais elle devinait qu'elle avait perdu la parole.

- «Vous avez tous entendu, n'est-ce pas? À présent Hawa, raconte à tout le monde, ce que tu as dit à mon fils et sa femme.»

Hawa se redressa à son tour.

Des oiseaux volèrent jusqu'au cocotier du grand jardin, et se mirent à chantonner. Le grand chef Cissé éternua dans ses mains et Sadio sentait sa fin.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant