Comme à son habitude, Bineta faisait sa petite sieste. Elle était si profondément endormie qu'elle n'avait pas entendu son époux rentrer.
En poussant sur la porte, celle-ci bruissa et arracha un miaulement à Bineta. Mais elle ne se réveilla pas. Il entra alors, à pas silencieux et s'arrêta devant la grande commode.
Les mains dans les poches, il enchaînait grimace après grimace, se demandant comment il faisait encore pour l'aimer. Elle dormait comme une sauvage!
Ses mèches torsadées, sa bouche négligemment entrouverte, sa posture on ne plus incopiable. D'ailleurs, son pagne était tellement massacré qu'une bonne partie de sa cuisse était exposée. Ce n'était pas exactement le genre de scène dont il aurait adoré se vanter, sinon de la magnificence de ces cuisses. Et puis ces ronflements assourdissants. Elle devait être très épuisée pour que cela devienne aussi embêtant. Il s'avança, déposa ses clés sur le chevet de table et s'engagea dans la salle de bains.
Entre l'eau coulante et les coups d'éponges, il parvint à entendre sonner le portable de son épouse. La discussion ne dura pas bien longtemps. Mais il ne put conclure sur le sujet traité. Il lui demanderait en sortant. Mais non! Quel idiot! Il était censé faire la grève des mots.
Cependant, Mamadou ne put s'empêcher de jeter un œil curieux à sa femme en franchissant la porte. Elle ne s'était pas recouchée. Le téléphone qui ne tenait qu'à quatre doigts, s'agitait nerveusement de bas en haut entre ses cuisses. Sa tête à moitié baissée ne donnait pas accès à ses yeux. Mais il pouvait deviner sa mine chagrinée. De loin, il préférait la scène à son arrivée. Elle ne lui donnait ni fil à retordre ni ce besoin irrésistible de lui adresser la parole.
Dans le silence le plus religieux qu'il fut, il se vêtit d'un simple débardeur et d'une culotte bien assez ample pour ne pas oppresser ses bijoux de famille.
Mamadou passa un coup de peigne rapide dans ses cheveux qui appelaient déjà le coiffeur. Il quitta la pièce sans broncher ni même la regarder.
Il avait mal d'agir ainsi, mais c'était un mal pour un bien, pensait-il. Elle finirait par craquer, se disait-il. Et là, elle n'aurait autre choix que de lui expliquer ce qui n'allait réellement pas.Il se dépêcha de retrouver son bureau, où il s'enferma dans sa chaise pivotante, forçant son cerveau à se concentrer sur le travail: travail travail travail. Bien trop souvent, une pensée à l'endroit de son épouse lui traversait l'esprit mais il se débattait pour la réprimer. Il était trop tôt pour se dégonfler.
Alors que les fenêtres de son bureau n'étaient plus capables d'apporter assez de lumière à la pièce, il alluma sa lampe de bureau.
Au bout de deux heures supplémentaires, il sentit ses yeux se fatiguer, son cerveau le lâcher et ses paupières s'alourdir. Il bâilla en se rappelant qu'il n'avait pas fait sa sieste. Il se leva alors, s'étira et se rendit dans le séjour, histoire de suivre le journal du soir.
Bineta mettait déjà la table. En tout cas, ce qui la contrariait ne l'empêchait pas de cuisiner. Lorsqu'elle eut fini de tout mettre en ordre, elle alla retirer son tablier puis revint s'installer. Elle n'eut besoin que d'un regard en coin pour que Mamadou se décide à la rejoindre.
Après avoir comblé le vide dans les assiettes, chacun procéda à une prière individuelle conformément à sa religion.
Seul le claquement des fourchettes contre les faïences tuait ce silence meurtrier. Une joue dans la paume, Bineta n'avait jamais levé la tête en mangeant, pas une seule fois, alors que le fils des Cissé ne cessait de chercher à la cerner. Qu'est-ce qui aurait pu mettre sa femme dans un état pareil, au point où elle mangerait comme si elle était en deuil? Même quand ils se faisaient la gueule, elle le gratifiait tout au moins de mille et un regards méprisants. Mais là, c'était le plat, aucune réaction, pas de rechignement.
Il avait tenu tout au long du dîner et elle aussi! Basta! Il craquait déjà, c'était à lui de la faire languir, mais il le supportait encore moins bien qu'elle. Mamadou était un grand diplomate: en toute chose, communiquer et négocier. Il n'y avait que Bineta pour lui prouver que c'était l'exception qui confirmait la règle.
Il le sentait, il allait bientôt faillir à cette compétition dont il était apparemment le seul joueur.
Sous ce dimanche constellé, mari et femme venaient d'éteindre leurs luminaires. Le dos tourné l'un à l'autre, dans ce lit qui ne laissait que peu de marge à la sécession. Tandis que leur dos s'effleurèrent, il rabbatut ses paupières et les laissa fermés jusqu'à ce qu'il ne la sente s'éloigner très discrètement. Il avait mal.
Il se remémora avec mélancolie leur toute première année de mariage. Scotchés l'un à l'autre, leurs cuisses entremêlées, ils s'endormaient dans une orbe de chaleur, même quand ils s'étaient disputés dans la journée.
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Mamadou & Bineta 🖤
RomanceAprès deux ans de full love sur le sol sénégalais, le mariage de Mamadou & Bineta ne bat plus que d'une aile. Derrière ses airs de femme téméraire et insoumise, Bineta cache des blessures que même son mari ne suspectait. Mais lorsqu'un soir, elle re...