48- Vouloir n'est pas pouvoir.

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Salimata et Karidja, malgré leurs mille et une tentatives, n'avaient pu soutirer la moindre information à Bineta. Capitulation. Elles n'étaient pas là pour Mamadou, mais pour la future mère et son bébé.

Après avoir obtenu un test d'urine positif, le test sanguin avait suivi. Et dès lors que la nouvelle fut confirmée, Karidja proposa qu'elles en informent leur mère: «Je suis sûre qu'elle sera la mamie la plus heureuse de la terre... Elle ne pourrait partir sur meilleure nouvelle.»

Cela n'avait pas été bien difficile d'en convaincre Bineta. En réalité, elle n'avait même pas eu à être persuadée, elle avait aussitôt adhéré. Elles voulaient le faire à trois. Alors, comme tous les matins, Limata avait ramené ses gros seins à la maison.

Elles entrèrent dans la chambre de leur mère, et celle-ci perçut leurs pas.

- Les filles?

- Oui n'nan, on est là, répondit Idja en lui prenant la main.

Elle fit asseoir leur mère, et elles s'installèrent autour d'elle.

Fanta était déjà en train de perdre tout ce qu'il lui restait de vision, elle portait constamment des couches, et ne pouvait plus rien faire par elle-même sinon parler, respirer, écouter. Elle sentait sa fin, et elle avait arrêté de se battre, de se faire des illusions quant au miracle de sa guérison. Elle ne demandait plus grand chose à la terre, sinon de lui être légère le moment venu.

Il ne passait pas une seule seconde, sans qu'elle ne se punisse intérieurement pour ses actes. Pas un seul moment, sans qu'elle ne se condamne, ne se demande comment elle en était arrivée là. Pas un seul temps, sans qu'elle n'avoue mériter tout ce qu'elle endurait. Elle ne demandait plus qu'à mourir, ce serait bien moins douloureux.

Toute une vie de mère perdue à détester, jalouser et maltraiter un enfant qui n'était coupable de rien: elle regrettait son entière existence.

- N'nan, on a une nouvelle à t'annoncer, dit l'aînée.

- Une bonne nouvelle?

- Oui n'nan, la meilleure nouvelle du monde, répondit Idja.

- Ah mais je vous écoute alors.

- C'est à Bineta de le faire n'nan, ajouta Limata, c'est sa nouvelle à elle.

La mère se mit à balader ses mains entre ses filles, cherchant celles de Bineta. Cette dernière lui facilita la tâche en déposant ses mains dans les siennes.

- Dis-moi ma fille, qu'as-tu de si beau à m'annoncer?

Elle essayait d'avoir ne serait-ce qu'une vision de sa fille, de ses expressions, de son visage: elle voulait non seulement l'écouter, mais aussi la regarder dire.

Les lèvres de la fille se pincèrent, et une fine larme longea sa pomette. Elle se rappelait ce qu'elle avait enduré la dernière fois que sa mère lui avait découvert une grossesse.

***

À l'insu de tous, Fanta avait traîné sa fille chez l'une de ses copines, l'une de ces sage-femme sans scrupules. Bineta ne se pensait pas avoir le choix: Mamadou avait disparu, et sa mère la haïssait encore plus. Elle se disait qu'elle gagnerait non seulement en considération auprès de sa mère, mais qu'elle épargnerait à cet enfant de naître bâtard.

Elle était allongée sur la table. La sage-femme était déjà prête à mettre en danger la vie d'une jeune femme et sa propre carrière pour les pauvres sous que lui avait promis Fanta.

Bineta pleurait le sang de son âme, elle remuait de la tête, suppliant sa mère. À la minute où elle s'était vue allongée sur cette table meurtrière, elle avait oublié son désir d'éviter à l'enfant de grandir sans père, elle était prête à l'élever seule. Mais sa mère n'était pas de cet avis et l'opinion de sa mère faisait tellement plus le poids. Fanta se tenait à son chevet, sa main faussement attentionnée caressait les cheveux de Bineta et sa bouche dégainait des insanités.

- Bineta, si tu gardes cet enfant, tu seras la pire mère, parce que tu n'es pas prête. Tu es loin d'être une bonne fille alors, fais au moins ça pour laver l'honneur de ta famille, oui fais-le pour ne pas perdre le peu de considération qu'on te porte encore. Tes amis et surtout tes ennemis vont se moquer de toi, ils vont se moquer de toi parce que ton enfant sera un bâtard, ils vont te traiter de fille facile et tous les hommes te fuiront. Et à son tour, cet enfant que tu portes va finir par te détester aussi, parce que tu l'auras obligé à venir au monde pour grandir sans père. Il va tellement te haïr, qu'il va te mener la vie dure, il va te rendre folle à un point où tu vas finir par le détester aussi, tu vas finir par le mépriser exactement comme je te méprise moi... Alors, si tu tiens à être en paix, laisse-toi faire, laisse partir cet petit monstre.

Fanta ne le faisait pas par pure méchanceté, elle le faisait parce qu'elle avait une bien trop grande adulation pour son image. Elle ne supporterait pas que son nom soit prononcé çà et là, que l'on critique l'éducation qu'elle avait donné à sa fille, elle ne supporterait pas de porter l'étiquette de la "mère de la traînée".

Mais la situation avait finit par tourner au vinaigre. Les jours suivants, Bineta fonça à l'hôpital malgré l'improbation de sa mère. Autrement, hémorragie et infection auraient fini par avoir raison d'elle.

***

À présent que ces souvenirs, commencèrent à s'estomper, Bineta se rendait compte qu'elle avait le visage mouillé. Et elle n'avait toujours pas parlé. Ses sœurs, le regard inquiet, la remuaient déjà pour comprendre son état. Ses mains déjà crispées dans celles de sa mère se détendirent.

- Je suis enceinte... n'nan.

Elle avait réussi à l'appeler N'nan. Ce n'était plus Fanta, c'était sa mère, la mère à qui elle venait de pardonner un autre péché, à moitié. Ce n'était pas si facile de le faire que de le dire. Une chose était de le vouloir, une autre de le pouvoir. Et même si le pouvoir commence par le vouloir, vouloir ne suffit pas toujours à pouvoir.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant