Mamadou & Bineta 🖤

27-Un premier rencard presque forcé.

«Tu es belle comme une fleur»

Il sonnait presque neuf heures du soir. Mamadou avait opté pour un look total denim. Son épouse - un cadeau du ciel - revêtait un cadeau qu'elle avait détesté accepter, en même temps qu'un cadeau qu'il avait détesté lui offrir.

Elle verrouilla la porte principale à double tours et se dirigea vers un Mamadou qui s'apprêtait à lui tenir la portière.

En la regardant parvenir à lui, son mille et unième sourire de la soirée apparut. Mais cette fois, c'était le fruit d'un souvenir lointain: celui qui avait marqué le début de leur union.

***

Il patientait impatiemment dans le séjour de son futur beau-père, car ce soir-là, Bineta avait enfin accepté de lui offrir un dîner. Il n'avait jamais compris pourquoi. Et à vrai dire, il mourrait d'envie de savoir ce qui avait pu lui faire changer d'avis. Mais il n'allait pas encore se hasarder à poser une telle question: ce genre de femme pouvait utiliser tout et n'importe quoi pour le mettre dans l'impasse. Il fallait y aller avec endurance.

Pour essayer de se convaincre qu'il était calme, il expliquait à son futur beau-père ce en quoi consistait le business familial.

- Je suis prête.

Il se leva aussitôt! Un décolleté bardot surmontait la jupe ovale qui ne dépassait pas ses genoux. Un tissu encore teinté aux illustres couleurs endiablées de l'Afrique, des twists remontés en chignon, des bracelets perlés au poignet, une fine chaîne dorée au cou. Et elle s'était pouponnée pour dîner avec lui. Pour lui, c'était tout ce qui comptait.

Karidja dévala les marches en trombes, munie d'un objet flasque et incarnadin.
Elle afficha un rictus fugace.avant de faire face à sa sœur aînée. Semblant vouloir le lui mettre de force, Bineta esquiva mais son père intervint.

- Bineta, il serait peut-être temps d'y aller.

- Si seulement Idja me laissait tranquille.

- Mais reste tranquille, souffla Idja... Papa... Dis-lui de me laisser faire.

- Bon allez les filles, assez jouer. Si elle n'a pas envie de mettre ça, tu ne peux pas l'y obliger.

- Et pourtant, ça t'irait à ravir, proclama Mamadou.

Bineta l'assassina du regard, un regard qui monopolisa suffisamment son attention pour que sa petite-sœur lui glisse la petite fleur rosée entre la tempe et l'oreille.

***

Alors que Bineta avait déjà remonté sa vaste traîne pour se déposer dans la Mercedes, son époux regretta de n'avoir pas acheté une petite fleur, exactement celle d'il y avait près de cinq ans, pour la lui déposer derrière l'oreille. Il pourrait revivre ce tableau encore et encore qu'il ne s'en lasserait pas.

- Aïe! Geint-elle.

Elle s'était pris le toit en plein dans le crâne. Mamadou se mit à rigoler et fut rejoint par son épouse qui lui donna une petite tape amicale sur le bras.

- Se moquer, c'est mal.

Regardez qui parle! La même dame qui avait fait d'une chute douloureuse de son mari, un grand comédie club.

Il rangea le bout de tissu qui traînait encore près de la roue puis claqua jovialement la portière.

Au travers des kilomètres goudronnés, de l'intouchable horizon, des autres véhicules et de la tête de son épouse posée contre la fenêtre vitrée, il assistait de nouveau à ce soir à Abidjan, cinq ans auparavant.

Elle était assise à côté de lui. Elle avait posé sa tête sur la glace de cette même manière, avec cette même coiffure, ce même chignon boule aux twists sénégalais. Ses doigts se triturant dans le creu de ses cuisses signaient son malaise. Elle stressait et il ignorait pourquoi. Mais elle stressait parce que c'était la première fois qu'elle sortait avec un homme, la première fois qu'elle avait cédé à une demande, n'avait pas envie d'arracher la tête à «l'imbécile» qui se tenait si près d'elle. Il l'énervait au plus haut point, elle lui en voulait parce qu'il avait réussi à la faire "tomber", elle lui en voulait parce qu'il avait gagné et qu'elle avait perdu. Et pourtant, elle n'avait toujours pas envie de lui arracher la tête.

Ramené au présent, il se rendit à l'évidence que Bineta avait déjà redisposé sa tête dans l'appui-tête du siège. Ses mains lâchées sautillaient entre ses cuisses, au gré des vibrations du véhicule. Et ses yeux étaient fermés.

- Ça y est, on y est.