9-La vengeance est un plat qui se mange à l'heure du dîner.

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Après le départ de la «reine des vipères», le «roi des idiots» laissa le sang chaud lui remonter au cerveau. Il posa un œil égorgeur sur les chaussures éparpillées. Alors, pourquoi ne pas l'envoyer paître une seconde fois? Droit dans la garde-robe! Puis une troisième tiens! Droit dans le couloir! Plutôt à moitié dans le couloir, à moitié sous le lit!

Puis les paroles de son père lui revinrent à l'esprit.

- «Fiston, la parole est d'argent mais le silence est d'or.»

- «Qu'est-ce que cela veut dire père?»

- «Ne lui parle plus.»

- «Comment ça? Elle et moi habitons la même maison, comment pourrais-je ne plus lui parler? Elle va devenir hystérique surtout.»

- «Justement. Cela va la rendre folle. Il n'y a pas pire que d'ignorer une personne: on répond à l'imbécile par le silence. Regarde la et écoute la quand elle te parle, mais ne lui parle pas... Elle finira par craquer.»

Il n'avait jamais mis ces conseils en application. Il était trop bon pour prendre une initiative aussi dramatique: Bineta était peut-être folle, mais pas méchante. Elle passait peut-être son temps à jouer les démons, mais comme tout le monde, elle avait ses petites faiblesses. Elle était aussi vulnérable.

Dorénavant, il commençait sérieusement à douter de cette candeur qui serait endormie en elle. Son père avait indéniablement raison. Mais avant de lancer la grève des mots, il devait mener à bien la guerre des mots.

Il repoussa violemment la porte contre la paroi, plus qu'il n'en aurait fallu pour la dégager de son chemin, chemin sur lequel elle n'était même pas d'ailleurs!
Il s'engagea dans le couloir en hurlant son prénom. Mais comme il s'en était douté, elle ne lui répondit pas. Et lorsqu'il fut enfin rendu dans la SAM, il la trouva assise, peinarde, dévorant gloutonnement un énorme morceau de thon.

Il la regarda de haut durant bien assez longtemps pour rassembler toute la colère qui coulait dans son corps. Il marcha on ne peut plus calmement vers elle. Parvenu à hauteur de son siège, il s'arrêta et elle le toisa, rechigna avant de poursuivre sa séance d'éventration. Et au moment où elle s'y attendait le moins, il cogna dans le gros morceau de viande! Le faisant exploser contre le mur! Elle va nettoyer. C'est son boulot.

Prise de court, elle laissa traîner sa bouche ouverte, lançant un regard spadassin à Mamadou. Elle se leva et apprécia le sale état du mur.

- Mamadou! Qu'est-ce que tu viens de faire? Hein?!

Il croisa ses bras, paré à la regarder péter un câble.

Sans qu'il n'ait besoin de saisir le sens des mots, Bineta s'engagea dans une diarrhée koulango. Il était clair qu'elle ne faisait pas son éloge: elle le traitait peut-être d'abruti, d'imbécile, elle menaçait peut-être de faire un malheur, de lui faire payer mais il n'en avait rien à faire. Il se faisait un plaisir malin de la regarder s'égosiller. Il lui fallait en profiter, car, le lendemain déjà, elle aurait retrouvé son âme sereine.

Elle gesticulait à n'en point finir. Tantôt les mains à la hanche, tantôt se tapant entre elles, tantôt le menaçant de l'index. Il n'entendait déjà plus sa voix, il la voyait juste gigoter comme un singe. Et lorsqu'elle eut fini de se disputer avec le vide, elle conclut.

- D'accord. On verra bien qui rira le dernier. Mi finku crêsêy a u man wi [Je vais te faire tellement mal que tu n'auras même plus de larmes pour pleurer.]

Et elle débarassa le plancher de cette même démarche digne d'un ouragan.
Malheureusement pour ce cher Mamadou, la dame savait toujours assurer ses arrières!

Dépassé par la tournure que prenaient les choses, il s'abandonna à la chaise qui se trouvait juste en dessous de ses fesses. Eh bien... Malheureusement pour lui, mais fort joyeusement pour la «reine des vipères», l'un des pieds craqua! Et son dur popotin servit de baguettes pour tambouriner au sol quadrillé. Les carreaux étaient bien faits de marbre non?
Sa bouche s'ouvrit grand comme une marmite vide. Mais la douleur fut tellement vive que son cri parvint à fuir son corps endolori seulement au bout de sept secondes passées à mimer le chimpanzé.

- Aouh... Confessa-t-il.

Ayant perçu un bruit, Bineta ne put s'empêcher de se précipiter sur le lieu du théâtre. Et lorsque Mamadou apparut enfin dans son champ de vision, elle mima l'incompréhension. Le pied de chaise cassé, elle venait de tout comprendre.

Ses bras se laissèrent bâiller et sans étonner personne, un air de satisfaction sadique s'enferma dans son visage rayonnant. Mamadou n'eut pas besoin de supplier pour que la gorge de sa «sorcière de femme» se déploie et le nargue. Elle se fendit tellement la pipe qu'elle en finit larmes aux yeux.

Contrairement à son sale caractère, son rire était désolemment gracieux. Une pure merveille pour qui voulait l'écouter. Le mélange parfait de douceur et maléfice. C'était son péché mignon.

- Eh Dieu... Je n'ai jamais autant ri de toute ma vie. Tu n'as pas vu que Dieu est avec moi?

Il la mitrailla des yeux mais se contenta de réinstaller plus confortablement ses fesses sur les carreaux coupables.

- Wallah Mamadou, c'est bien fait pour toi, ajouta-t-elle avant de poursuivre son marathon d'expiration saccadée.

Elle lui tourna le dos, disparut derrière les escaliers et en revint armée d'un chiffon et d'un seau d'eau savonneuse. Elle s'affaira ensuite pépère à nettoyer le bazar que Mamadou avait créé. Après avoir rangé le poisson émietté dans du papier aluminium, elle passa au sol en chantonnant.

- Laisse-moi vivre ma vie oh oh oh, je veux vivre ma vie oh. Il fait chaud dans cercueil on sait pas quand on va mourir oh!

Alors qu'il se dirigeait prudemment vers le séjour pour s'y installer, elle ne put s'empêcher de le provoquer.

- Jigasè [Idiot] Tu as vu non?

Elle tirait exagérément sur ses paupières, au point où on distinguait clairement ses muqueuses si bien colorées.

Elle reprit son concert de plus bel, donnant le maximum de volume, permettant à Mamadou de la recevoir, même à des mètres d'elle.

- Tu me souhaites le malheur! Mais Dieu me bénit oh! Tu veux me voir pleurer! Mais je suis toujours heureuse!

Et alors qu'aucune note ne se fit plus voir, elle remua dangereusement son corps, comme guidée par un djembé¹ imaginaire aux rythmes troublés. Ce que Mamadou aurait adoré voir ce spectacle, il aurait aussitôt cessé d'avoir mal. Mais il était déjà trop loin. Les atouts impressionnants de la dame, par leurs vibrations calculées et parfaitement alignées, coupaient le souffle à toute la pièce.

- Tu voulais me noyer mais tout ce que tu as fait m'a appris à nager. J'ai bara² pour pouvoir m'en sortir, c'était vraiment dur pour moi. Hé-hééé! Dieu existe! Il existe ooooh! Il existe!

Ses petites fesses fragilisées confortablement installées dans le divan tout douillet, Mamadou avait à peine le temps de prêter attention aux provocations de sa femme. Et pourtant, n'arrêtait-elle pas de lui casser les oreilles de sa voix agréablement désagréable.

- Mon Dieu est bon! Il est toujours vainqueur!

Il se demandait: Qu'est-ce qui m'a pris d'épouser cette folle? Une chose était certaine, le dîner était bien servi.

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1: tam-tam africain.

2: ivoirisme; travailler dur, se battre.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant