La discussion battait son plein dans la chambre de Bineta. Elle se lâchait, exactement comme le voulait son mari, elle s'exprimait, criait toute sa douleur à la femme qui en était la cause.Salimata, bon gré mal gré, avait fini par se tenir en place. Même si ses jambes tapotaient le sol et que son sang était en surchauffe.
À présent, Bineta écoutait sa mère lui expliquer son attitude. Sa voix se perdait derrière les larmes, mais elle comptait bien aller jusqu'au bout de ses mots.
- Toute ma vie Bineta, je m'étais battue pour obtenir ce boulot. Je n'étais pas vraiment le genre de femme à se soucier de sa vie de couple. Je n'avais jamais aspiré particulièrement au mariage et à des enfants... J'étais un peu comme mariée à mes études, à mes ambitions, mes diplômes... Parce que toute ma vie, mes parents n'avaient pas cessé de me mettre dans la tête, qu'il n'y avait que le travail pour libérer l'homme, qu'une femme travailleuse n'aurait pas besoin de chercher pour avoir un homme digne du nom... Et puis, j'ai rencontré votre père... Et Limata est venue la première. À l'époque, j'avais un boulot stable mais... J'aspirais à plus. Alors je me suis démenée pour parvenir à gravir les échelons... Puis une occasion s'est offerte à moi, j'ai passé l'entretien et j'ai été embauchée... Et puis tu es arrivée.
Sur le dernier mot, les sanglots reprirent le dessus sur sa voix.
Bineta se retenait de réagir, parce que malgré tout, elle avait l'incoercible besoin de comprendre ce qui lui avait valu toutes ces années de malheur.- Ta grossesse était tellement difficile à supporter, j'étais loin de pouvoir tenir sur pieds. Avec ta sœur ça avait été bien plus évident. Je n'arrivais plus à remplir mes obligations au boulot, le patron n'était pas du tout content et il n'a pas du tout été tendre. Il m'a fait comprendre que nul n'était irremplaçable. Et que si je n'étais pas capable de faire les choses correctement, il allait devoir mettre fin à notre collaboration... J'avais donné beaucoup trop pour en arriver là... Je ne pouvais pas me permettre de perdre le fruit de mon dur labeur... Et en plus, en plus mon corps a complètement changé. Toutes ces taches, toutes ces déformations, ces horribles vergetures, mon nez qui a doublé de taille, ce n'était pas comme ça pour ma première grossesse. Je me sentais... Sale, je n'avais plus confiance en moi...
- Alors, tu as essayé de me tuer.
- Je te promets que je n'étais pas fière de moi, je n'avais pas envie de le faire mais... Je n'avais pas le choix.
- Ta tentative de meurtre a échoué alors tu as tenté une seconde fois. Bon sang Fanta, tu n'avais pas un peu peur pour ta propre vie? Tu n'avais pas peur de la mort?
- À mort Bineta, c'est à mort que mes parents me faisaient travailler. Je n'avais pas droit à l'échec, je n'avais pas droit à l'erreur. J'étais juste autorisée à être la meilleure, c'est ainsi qu'ils m'ont façonnée, je ne l'ai pas décidé.
- Je ne pense pas qu'ils aient décidé de me tuer à ta place.
- Peut-être pas mais ils auraient tout de suite adhéré. Aujourd'hui ils ne sont plus, mais je les connais comme ma poche.
- Bien. Ta famille et toi n'êtes que des sanguinaires alors.
- Bineta, s'il te plaît...
- Tu as échoué Fanta, tu n'as pas réussi à me tuer alors tu t'es dit que tu allais me rendre la vie impossible.
- Je ne l'ai pas décidé.
- Ah mais alors, j'ai dû halluciner toutes ces fois où tu me traitais de traînée, ou encore quand tu m'as reniée.
- Je ne le faisais pas de mauvaise foi. Je n'arrivais juste pas à m'empêcher de t'en vouloir d'avoir gâché ma chance d'accomplir mes rêves, d'avoir complètement changé mon corps. C'était au dessus de mes forces.
- Ton corps et ton travail étaient plus importants que ta propre fille.
- Plus maintenant... Plus maintenant.
- Mais dis-moi une chose tant qu'on y est, pourquoi Idja n'a-t-elle pas subi le même sort que moi? D'ailleurs, pourquoi est-elle née?
- ... Ton père voulait un garçon. C'était d'ailleurs la seule raison pour laquelle il me touchait encore... Malheureusement pour moi, ça a encore été une fille... C'est là qu'il m'a définitivement déconsidérée... C'est bien pour cela que tu étais sa préférée.
- Comment?
- Tu étais étonnement la favorite de ton père. Au début, même moi je ne le comprenais pas. Et par la suite, j'ai compris que c'était à cause de ton caractère. Tu étais la seule parmi les trois à se rapprocher d'une figure masculine à ses yeux. Tu n'avais peur de rien, tu te battais avec des hommes, tu adorais aller au sport avec lui, même si tu préférais le basket et lui le football... Et là encore... J'étais jalouse de son amour à ton égard. Je ne supportais pas qu'il me prête à peine attention alors que toi tu l'avais entièrement, sans forcer. J'ai lutté au fond de moi mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Me défouler sur toi était le seul moyen que j'avais trouvé pour faire passer la colère. Et pourtant... elle n'allait que grandissante... Pardonne-moi mon enfant, je te demande pardon.
- Aujourd'hui tu peux demander pardon. Oui parce que tu es aux pieds de la mort. Mais où était passée ton humanité quand je suppliais pour garder mon bébé? Où était ce pardon lorsque tu me balançais sans scrupule combien j'étais et demeurerais une ratée? Où était ma mère lorsque tu m'as lancé à la figure de ne plus t'appeler maman parce que tu n'étais pas ma mère? Hein? Où?
- Je n'étais pas moi-même, guidée par la colère et la rancœur, par la douleur d'avoir perdu ton père parce que... malgré tout, c'était toujours mon mari, il était trop tôt pour qu'il s'en aille, beaucoup trop tôt.
À bout de souffle, Bineta se surprit en position mahométane, les bras tendus vers sa mère, comme si elle s'inclinait devant sa reine.
- Il aurait fallu que je meurs pour que tu aies la paix. Mais aujourd'hui n'nan¹, c'est toi qui dois mourir pour que moi j'aie la paix.
La porte s'ouvrit violemment! Salimata!
Elle avait quand-même réussi à échapper à Mamadou, alors que celui-ci était préoccupé par un appel.Mais elle fut surprise de voir l'état des choses. Bineta à moitié étendue par terre, pleurant silencieusement, tandis que leur mère laissait couler ses larmes sans bruire.
Arrivé trop tard, Mamadou n'eut pourtant pas à intervenir: la discussion était terminée. Bineta avait tout donné, elle avait vidé son sac. Limata se dirigea vers sa mère, Mamadou vers Bineta. Chacun s'occupait de l'être qui lui tenait le plus à cœur.
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1: maman en koulango.
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Mamadou & Bineta 🖤
RomanceAprès deux ans de full love sur le sol sénégalais, le mariage de Mamadou & Bineta ne bat plus que d'une aile. Derrière ses airs de femme téméraire et insoumise, Bineta cache des blessures que même son mari ne suspectait. Mais lorsqu'un soir, elle re...