52-Orpheline de père et de mère.

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Un gigantesque nuage noir, une famille endeuillée accueillie. Mémoire et souvenirs dans le temple de l'omniscient.

Fanta n'avait ni sœurs ni frères, elle n'avait que père et mère... décédés. Elle avait juste des amis, des connaissances. Elle n'avait que des filles, ses trois merveilleuses filles.

Karidja n'avait pas eu la force de s'exprimer, trop abattue bien que préparée. Salimata était plus brave, elle n'avait pas hésité à louanger sa défunte mère. Et à la surprise générale, Bineta aussi... ou presque.

Elle tenait debout sur l'estrade, elle ne pleurait point, n'avait guère l'air détruite. Elle avait juste l'air en deuil: foulard fade, long boubou blafard, nonchalante. Elle parvenait enfin à mot dire.

- N'nan était...

Une mère affreuse? Son pire cauchemar? Sa plus grande douleur? Sa plus grande terreur? Elle souffla du fond de son cœur.

- Elle ne mourra jamais parce que... parce qu'elle demeurera dans nos cœurs... pour toujours.

Et c'était tout. Elle descendit et rejoignit sa place, auprès de ses deux sœurs. Malgré les larmes qui fusaient autour d'elle, elle demeurait de fer. Pas la moindre ombre d'une minable goutte de larme.

Ils défilèrent les uns derrière les autres, vantant le si bon cœur de N'nan Limata¹ ; son attachement à la communauté religieuse, qu'elle n'avait «malheureusement» pas su imposer à ses enfants; ses plus belles œuvres; ses plus belles actions.

Sincérité et duplicité se cotoyaient sur ce petit podium. Larmes vraies et larmes de crocodile se couraient après. Et pourtant, Bineta se retenait toujours d'exploser.

Des remerciements au Très-Haut pour la vie et les bonheurs qui avaient orné Fanta Diallo Adou... Pour réconforter les éplorés: une seule prière... Psalmodie, psalmodie, psalmodie... Puis l'assemblée fut bénie.

Tout se passait sous ses yeux vides. Elle n'avait pas eu le temps d'embobiner sa mère, lui faire croire qu'elle lui avait déjà pardonné, coller la paix au cœur vivant de la femme qui lui avait donné la vie. Mais ce qu'elle ignorait, c'est que cette dernière avait trouvé cette paix. Ce petit-déjeuner avait tout effacé.

Bineta ne devinait pas que sa mère était partie en paix. Alors elle s'en voulait, quelque part au fond d'elle. Elle ne se détestait plus, ne se dégoûtait plus, elle savait que son geste avant la mort n'était pas sans conséquences positives. Mais elle se disait qu'elle aurait pu faire plus, même si sa mère ne le méritait pas forcément. Elle pensait qu'au nom de ces derniers jours de tendresse, elle aurait pu faire mieux. Mais l'on ne parvenait pas toujours à faire ce que désiré. Et elle en avait déjà fait assez.

Le départ de sa mère, à mi-journée de ce samedi, un événement que nul n'avait soupçonné même si préparé à toute éventualité. Parce qu'elle avait l'air bien trop en forme, elle était beaucoup trop rayonnante, peut-être parce qu'elle avait gagné en paix.

Bineta l'avait laissée derrière, après ce petit-déjeuner improvisé, elle était repartie se réfugier dans sa chambre. Mais avant, elle était restée près de sa mère, jusqu'à ce que ne s'endorme cette dernière. Elle avait vécu son purgatoire sur ces deux derniers mois. Son sommeil l'avait emportée dans un doux trépas, dirigé par la Fossoyeuse en chef.

C'était déjà le départ pour le champ du repos. Bineta avait l'impression d'avoir manqué toute la cérémonie au temple. Mamadou n'était pas là. Mais elle n'était pas toute seule, il y avait une partie de lui en elle, un petit morceau de l'homme qui grandissait en son sein.

Descente dans le trou final, c'était déjà le terminus. Quelques mots, voix de la bible. Un cantique, prière finale. Une poignée de terre, mise en terre.

Le peuple se mit alors à déserter. Il n'y avait plus rien à regarder. Cela étant, Salimata et Karidja venaient de remarquer que Bineta n'avait toujours pas bougé. Elle attendait, comme si elle discutait avec l'esprit qui avait oublié son enveloppe dans la fosse dernière. Elles se regardèrent mais ne bronchèrent.

Au bout de longues secondes, Bineta libéra un souffle enfermé en elle. Ses sœurs la virent se tourner dans leur direction. Mais alors qu'elles pensaient que Bineta viendrait à elles, la cadette se tint au loin et leur annonça la nouvelle.

- Je veux voir papa.

Surprises, les deux autres sœurs partagèrent un nouveau regard.

Bineta ne savait pas où reposait son père dans le nécropole. Elle se laissait guider par les pas des autres. Très vite, elles parvinrent à la sépulture recherchée: elle allait enfin faire le deuil de son père, deuil dont l'avait «privée» feu sa mère.

Ses sœurs lui cédèrent le passage. Elle emprunta le couloir naissant, se baissa et atterrit sur ses genoux. Ses doigts indécis et démanucurés se glissèrent sur la pierre tombale. La toute première goutte coula enfin de son corps: elle était libérée, soulagée, délivrée, allégée.

- Repose en paix papa, repose en paix.

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1: En Afrique, il est tout à fait naturel d'identifier une mère à son enfant aîné. Littéralement, cela donnerait alors maman Limata, pour nommer la mère de Limata, la femme dont Limata est la fille aînée.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant