Les cocotiers sont ce qu'il avait toujours préférés. Cet interminable réservoir de noix de coco sous lequel il avait passé sa petite enfance rangée. Son père, ce grand marchand illettré - pourtant très forturné - entre sa grande rigueur et ses trois épouses, avait toujours su donner à ses enfants de vivre on ne peut plus confortablement.C'est au pied de cette gigantesque plante monocotylédone, plus vielle que sa conception, que Mamadou osa se remémorer ses jours puérils, attendant patiemment la venue de son père qu'il était parti visiter.
La veille, chez lui, c'était encore la énième guerre mondiale: parce que son épouse ne voulait toujours pas lui offrir d'être père. «Le vieillard assis voit plus loin que le jeune homme debout». Son père aurait peut-être une alternative à lui proposer.
Ce dernier ne le fit d'ailleurs pas attendre plus longtemps. C'est avec la plus grande modestie, que noyé dans son simple boubou en bazin damassé, il se dirigea vers son fils aîné et s'assit à ses côtés.
Un homme aux traits fins et charbonnés; Mamadou était son modèle moderne et décoloré. Il n'était pas une bombe atomique mais il se laissait tout de même désirer pour un cinquantenaire. Ses cheveux coupés à ras le crâne laissaient paraître ses magnifiques rides issantes. Et si par le passé, ses lèvres aussi larges que pulpeuses rendaient folles plus d'une, les choses n'avaient pas vraiment changé. Son regard finement bridé demeurait tout de même grand et digne de la belle pyramide qui divisait sa face.
- Désolé fiston, s'excusa-t-il en Soninké, mais les affaires sont les affaires.
- Ne t'en fais pas papa, répondit-il également en Soninké.
- «Alors, quel bon vent t'amène ici?»
- «Hum papa, c'est Bineta.»
- «En voilà un mauvais vent.»
- «Papa, s'il te plaît...»
- «Non, ça ne me plaît pas. Je ne connais pas de Bineta et donc je n'en parlerai pas.»
Le sempiternel discours: c'est exactement pour cette raison que Mamadou n'avait jamais aimé discuter avec son père à propos de son épouse. Ce dernier n'allait donc jamais l'accepter?
Mamadou avait épousé Bineta contre avis parental: son père n'avait jamais adhéré et sa mère s'était à son tour pliée par soumission. Mais jamais cette dernière n'avait exprimé sa pensée véritable.
Bineta était peut-être d'une beauté énigmatique, d'une peau blonde diamantine, détentrice de rondeurs qui laisseraient n'importe quel homme hébété. Mais sa petite bouche rosée était bien moins catholique que l'on ne le soupçonnât.
Insoumise et caractérielle, elle était pour son futur beau-père - malgré lui - l'extrême opposé de la bonne épouse.
Le père avait donc usé de toutes ses ressources pour empêcher ce mariage. Mais malheureusement pour lui, son fils avait hérité de son opiniâtreté.Leur divergence ethnique ainsi que religieuse ne lui avait jamais posé le moindre soucis. Du moins, pas pour longtemps. Le gros bémol n'était autre que le comportement «indécent et malveillant» de sa future belle-fille.
- «Papa, jusqu'à quand vas-tu jouer à ce jeu enfantin?»
- «Jusqu'à ce que tu comprennes que cette fille n'est pas bonne pour toi. Pour aucun homme d'ailleurs. Elle n'est même pas bonne pour elle-même.»
- «Eh bien dans ce cas tu vas être heureux d'apprendre qu'elle commence à me fatiguer.»
- «Mais c'est bien fait... C'est bien fait. Vous les jeunes d'aujourd'hui, vous ne voyez jamais plus loin que le bout de votre gros nez. Papa je l'aime, papa ceci. Voilà où on en est. Je t'ai toujours dit que...»
- «... Cette fille n'est pas bonne pour moi, ça va c'est bon je connais la chanson. Mais peut-on se concentrer sur l'objet de ma visite? Elle est déjà ma femme à présent. Et j'entends sauver mon mariage, tout au moins essayer avant d'échouer.»
Le père toisa le fils, comme si Bineta ne le faisait déjà pas assez. Il s'adossa dans son caquetoire, laissant la parole à son fils préféré.
- «Merci papa. Et s'il te plaît, je te le demande, essaie de ne pas faire trop d'histoires. Je suis ici pour obtenir solution, pas pour me disputer.»
- «Insinuerais-tu que je cherche toujours la bagarre?»
- «Non papa, non. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais je sais que tu n'as jamais apprécié Bineta. Alors, essaie de prendre sur toi.»
- «Je suis chez moi ici et je parle comme je veux. Alors soit tu parles, soit tu t'en vas. Je n'ai pas que ça à faire. D'ailleurs, je ne sais même pas ce que je fais à parler de cette mal élevée avec toi.»
Sacré monsieur Cissé, toujours coriace, toujours inflexible. Les années ne l'auraient pas changé.
- «Eh bien voilà. Elle et moi sommes mariés maintenant depuis plus de deux ans.»
- «Ce qui est d'ailleurs très regrettable.»
- «Elle... Je lui ai... Enfin, nous avons choisi attendre et profiter de notre mariage avant de faire des enfants.»
- «Au moins, elle sert à ça.»
- «Papa...»
- «Mais oui, mais oui. À part ses gros seins et ses grosses fesses sur lesquels tu bondis la nuit, je ne vois rien de plus chez elle. Et puis d'ailleurs, heureusement que tu l'as trouvée vierge. Sinon, wallah, ce mariage n'aurait jamais eu lieu de mon vivant.»
- «Papa, c'est de ma femme que tu parles là. Tu n'es pas forcé d'être aussi vulgaire, tu sais.»
- «Mais j'ai choisi l'être. Vas-tu m'en empêcher?»
Il fallut un bon coup d'expiration à Mamadou pour ne pas exploser.
- «Alors, c'est quoi ton soucis?»
- «Récemment, j'ai abordé avec elle, le sujet de ma progéniture.»
- «Et alors? Veux-tu que je vienne vous montrer comment en faire?»
- «En réalité, elle est... Elle est réticente.»
Le père soubresauta dans une grimace furibonde.
- «Eh abomination!»
Pour le père de Mamadou: «La femme ne valorisait sa féminité que dans sa maternité. Mariée sans enfant, inutile tout court». Et avec ce que venait de lui annoncer son aîné, il était hors de question de laisser perdurer ce mariage «incongru»!
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Mamadou & Bineta 🖤
RomanceAprès deux ans de full love sur le sol sénégalais, le mariage de Mamadou & Bineta ne bat plus que d'une aile. Derrière ses airs de femme téméraire et insoumise, Bineta cache des blessures que même son mari ne suspectait. Mais lorsqu'un soir, elle re...