Mamadou & Bineta 🖤

44-Mourir pour reposer en paix.

Dehors, à bien des kilomètres de leur maison, Yopougon était toujours aussi allumé. Personne ne se privait de sortie.

Mais ici, deux filles et une mère attendaient silencieusement que le deuil ne vienne enrober les lieux. Car, Fanta aurait préféré être morte, au grand dam de cet affront que lui faisait la vie. Elle avait déjà à moitié perdu la vue.

Bineta était celle qui l'avait le plus aimée, qui avait le plus désiré son amour, celle qui l'avait le plus détestée, et à présent, celle qui supportait le moins de la voir dans cet état. Elle aurait voulu qu'il ne s'agisse que d'un cauchemar, même si cela impliquerait que sa mère ne lui ait jamais demandé pardon ou expliqué les raisons de ses agissements.

Bineta était assise dans un fauteuil du séjour, tentant de digérer ces trois dernières semaines. Limata n'était pas encore là: un aussi bon mardi, elle courait dans tous les sens au CHU Yopougon.

Idja était occupée à mettre un peu d'ordre dans la cuisine. Soudainement! Un appel à l'aide résonna. Bineta et sa jeune sœur manquèrent de s'accrocher à la porte.

- N'nan, qu'est-ce qui ne va pas? Demanda la plus jeune.

- Je crois qu'il va falloir... changer toute la literie.

Les deux sœurs se jetèrent un regard consterné et Idja s'avança la première. Elle mieux que Bineta savait réagir à ce genre de situation. Elle dégagea sa mère de la grande couverture pour constater les faits. Et elle fut bien accueillie par une puanteur qui ne la repoussa pourtant pas. Elle aida leur mère à se redresser et à s'asseoir au bord du lit. Il y avait tout un lac en dessous d'elle.

Bineta était immobilisée par des forces invisibles. Et elle s'en voulait. Elle se détestait, parce qu'un jour, elle avait osé souhaiter voir sa mère dans de telles circonstances. Elle n'avait pas formulé sa prière avec autant de précision, mais sa demande était claire: son bourreau devait se retrouver dans une situation si avilissante que même Dieu ne puisse l'aider. Elle voulait la voir au plus bas, au plus mal, elle voulait la voir souffrir.

À présent, elle se retrouvait piégée dans son propre désir de vengeance.
Sa petite sœur, en même temps qu'elle s'occupait de leur mère, jetait des coups d'œil inquiets à son aînée.

- Doucement n'nan, lève les bras s'il te plaît.

La mère s'exécuta et sa benjamine lui retira son haut. Elle dénoua son pagne et le jeta par terre, à côté du t-shirt. Les relents explosèrent dans toute la pièce. Il n'y avait pas qu'un lac, il y avait aussi de la boue.

- Non n'nan, ne pleure pas, la consola Idja.

Elle se servit de sa longue robe pour assécher les larmes de sa mère.

C'est à l'instant que Bineta fut prise de nausées. Elle porta sa paume à sa bouche et échappa à la chambre en courant.
Idja ne pouvant se dédoubler la regarda juste s'en aller, inquiète: ce n'était pas la première fois qu'elle vomissait.

L'évier, dans la cuisine, était le lieu le plus proche qu'avait trouvé la belle abidjanaise, pour ne pas décorer les carreaux. Etourdie, elle s'agrippa au mur, se traîna ainsi jusqu'au salon où elle s'abandonna au canapé. Elle repensait au résultat du test d'il y avait trois semaines. Quelques minutes plus tard, elle piqua du nez.

Bineta semblait tellement apaisée que sa jeune sœur n'osa la réveiller. Mais cela ne servit à rien puisque la sonette résonna dans toute la maison: il aurait peut-être été temps de la retirer pour que les oreilles de tout le monde retrouve la paix. Quelques minutes après, Limata apparut accompagnée d'un homme qu'elle surpassait légèrement grâce à ses quinze centimètres de talons. Bineta était déjà éveillée, mais toujours allongée. Idja embrassa sa sœur, puis son beau-frère sur la joue. Bineta se redressa durement pour s'asseoir.

- Tu es malade? L'interrogea Limata en posant son sac à côté d'elle.

Elle se pencha légèrement pour examiner ses muqueuses palpébrales, puis rechercha une éventuellement fièvre en tâtant son front.

- Pas de fièvre, conclut-elle.

Elle repoussa alors son sac un peu plus loin pour s'installer près de sa petite-sœur.

- Vêlɔ¹, qu'est-ce qui ne va pas?

Alors que Bineta prenait un temps fou à rassembler ses énergies, Idja intervint.

- Elle n'arrête pas de vomir et... elle est tout le temps fatiguée aussi.

- Elle est mariée, non? Lança Nicolas, le mari de Limata.

Il ne fallut pas plus qu'un sourire plein d'espièglerie, pour que son épouse pense exactement comme lui.

- Un bébé?

- Peut-être, répondit Bineta adornée d'un sourire vif d'espoir... J'ai fait le test il y a environ trois semaines: c'était négatif mais... c'est tout à fait possible.

- Trois semaines? Riposta Limata.

Limata et Idja se lancèrent alors un regard qu'elles seules pouvaient comprendre.

- Quoi? Demanda Bineta.

- Ferme tes oreilles Nic! Ordonna Limata, sur un ton blagueur.

Le concerné leva ses mains en signe de reddition et alla s'asseoir dans un fauteuil éloigné.

- Donc... Sussura l'aînée de la famille.

- Donc? Répondit Bineta.

- Vous l'avez fait ici hein, espèces de coquins...

- Ah-ah! Je vois maintenant de qui Idja tient.

- Idja? La sainte ni touche?

- Eh bien on dirait que tu ne la connais pas aussi bien que tu le penses.

- Ah bon? Idja? Donc toi aussi tu as grandi quoi.

Honteuse d'être mise à nue, la benjamine fourra sa tronche dans le canapé avant d'éclater de rire.

- Et donc elle tiendrait de moi, reprit Limata.

- C'est ça même.

- Hum. En tout cas, ce n'est pas moi qui fais l'amour avec mon mari dans la maison de mon père!

Nic porta un regard amusé sur Bineta: la honte!

- Je vais voir maman, décida Limata.

- Je viens avec toi, ajouta Idja.

Avant de partir, Sali sussura à l'oreille de son homme.

Seule face à son beau-frère, Bineta ne savait plus où se mettre.

- Si ça peut te rassurer, on a fait la même chose avec ta sœur, mais chez mes parents.

Bineta laissa exploser son rire plein de grâce! Salimata n'avait pas idée du "traître" qu'elle avait épousé.

- Tu vas quelque part?

- Oui oui, ne t'inquiète pas, je reviens dans pas longtemps. Ta sœur est au courant.

- D'accord. À tout à l'heure alors.

Sa tête à couper que cette sortie soudaine n'était pas du tout étrangère aux chuchotis de Salimata.

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1: Petite-sœur( appellation affective)