56- Une ou trois rondeurs de plus.

38 3 0
                                    

La pluie venait laver la sombreur du deuil, elle venait rafraîchir l'atmosphère, mouiller la vie. Le ciel pleurait à son tour, la mort de Fanta, une femme qui au delà de toute chose, n'était pas une mauvaise personne.

Bineta était son plus grand regret, non seulement sa naissance, mais toutes les horreurs qu'elle lui avait infligées. Nul ne savait ce qu'il en était advenu d'elle, dans l'au-delà. Mais elle avait eu droit à un enterrement digne.

Bineta n'en parlait jamais, mais il lui arrivait bien souvent de se demander comment elle était parvenue à survivre à sa tornade de mère. Comment elle avait pu accepter de vivre ainsi, alors qu'un mot à son père aurait suffi à la sortir de son calvaire. Elle se rendait compte qu'elle n'avait pas réellement réussi à surmonter sa peur de tomber enceinte. Il y avait toujours de cette frayeur: et si elle faisait une fausse couche? Et si cette terrible décision du passé avait annulé ses chances de devenir mère? Et si des complications survenaient? Et si elle devenait réellement une mauvaise mère? Et si ses enfants n'aimaient pas son caractère? Et si elle n'arrivait pas à donner à ses enfants, l'amour maternel qu'elle leur devait? Et si Mamadou n'aimait pas la tête de leur bébé? Et s'il ne le trouvait pas à son goût? Assez bien pour lui? Assez digne de lui?

Idja était épuisée, elle était allée se coucher. Mélinda était alors rentrée chez elle. Personne n'avait cuisiné sous ce toit depuis ce matin. D'ailleurs, toute la semaine durant, Salimata avait dû ramener à manger, parce que Karidja au comble de l'affliction, n'arrivait même plus à penser à la cuisine.

Bineta s'occupait quelques fois de faire les repas. Cependant, non seulement était-elle parfois handicapée par son début de grossesse, mais aussi par sa sœur qu'elle s'était donné pour mission de surveiller. Salimata prenait sur elle, elle enchaînait ses gardes hospitalières, ses consultations, elle noyait sa peine dans le travail. Et même si elle avait fini par craquer, un soir dans sa salle de bains, personne ne l'y avait surprise. C'était le genre de femme à ne jamais afficher sa faiblesse, à qui que ce soit, encore moins à ses proches. Ses douleurs, elle les gérait toute seule.

Spécialement ce soir, comme deux autres soirs plus tôt, l'une des voisines de la cour avait eu la gentillesse de proposer un repas copieux à toute la famille.

Ils avaient tous dîné, sauf Idja déjà couchée. Nicolas rentra chez lui, mais Salimata demeura chez ses défunts parents. Elle allait s'occuper de sa petite-sœur. Bineta, elle, avait déjà son consolateur, son mari.

La main glissée sous son chandail zébré, Bineta soupira pour la ixième fois. Elle frissonna au contact des mains glacées de Mamadou, à peine posées sous son tissage de laine. Le ventre de Bineta était dorénavant la région fétiche de son mari, la région du futur. Il y déposa un baiser.

- Comment va-t-elle? Demanda-t-il?

- Super... Je dors comme un sac, je vomis comme un trou, le monde tourne souvent autour de ma tête. Mais sinon, rien à signaler. Ton enfant est sage comme toi.

- Une petite fille sage pour commencer alors, répondit-il à son sarcasme.

- Et si ce n'était pas une fille? Je n'ai pas envie que tu sois déçu après...

- Ne t'inquiète pas ma chérie, le sexe importe peu. C'est juste que j'adorerais commencer par une fille.

- Pourquoi ça?

- En fait, je n'en sais rien.

Le vent souffla au travers des gouttes de pluie. Cette averse était partie pour ne prendre fin qu'au lendemain.
Mamadou déposa alors son oreille, puis sa tempe, tout doucement, sur la peau de son épouse. Il lâcha un soupir qui la fit frétiller. Bineta glissa ses petites mains chaudes dans les cheveux de son époux.

- Ça fait un mois.

- De quoi tu parles?

- On est pas des gamins Mam.

- Rien ne presse, répondit-il en réouvrant ses yeux.

- Ça fait un mois Mam, ne raconte pas de bêtises.

Il se débarassa d'un souffle, releva sa tête. Elle devinait le menton son homme dessinant une spirale dans son nombril.

- Arrête, ça chatouille.

Il avait l'air ensomeillé, tout autant que le sourire qui se détachait de son visage.

- Rien ne presse.

- Dis plutôt que tu as sommeil, et que tu ne tiendras pas.

- Tu sais très bien que me faire chanter ne va rien t'apporter, n'est-ce pas?

- J'espère juste que tu ne vas pas te servir du bébé pour t'éloigner.

Elle retint son souffle. Elle n'était pas encore guérie de sa mère.

- Tu regrettes cette grossesse?

- Jamais de la vie.

- J'adore tes rondeurs Bineta, et pour tout te dire, je ne dirai pas non à une ou trois de plus...

- Et si tu dormais plutôt?

- Mais... pourquoi?

- Tu parles déjà trop, tu me donnes sommeil.

Elle lui bâilla au nez.

- J'aurai ma revanche demain.

Mamadou laissa choir sa lourde tête sur le ventre rebondissant de son épouse. Quant à elle, mille et une pensées se mirent à lui trotter dans l'esprit. Une ou trois de plus... De quoi aurait-elle l'air avec une ou trois rondeurs de plus?

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant