34-Une menace on ne peut plus étrange.

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Le dîner terminé. Le couvert lavé et rangé. Les portes verrouillées. Les lumières inutiles éteintes.

Dans la salle de bains, un épais tissage de coton égyptien empêchait son corps de dégouliner. Elle se posta face à la petite armoire à glace, tira sur la poignée en porcelaine et se retrouva face à son cauchemar. Une boule obstruante descendit le long de sa gorge. Une main choppa la plaquette à moitié pleine et la posa près du lavabo.

Ses paumes se retrouvèrent agrippées aux rebords du paillasson, tandis que ses yeux interrogateurs fixaient douloureusement les pilules.
Que n'aurait-elle pas donné pour arrêter? Que n'aurait-elle pas offert pour enfin s'affranchir de cette peur bleue de tomber enceinte? Que n'aurait-elle pas fait pour débloquer? Mais c'était trop dur. Les souvenirs étaient encore trop frais. Trop durs. Ils étaient lointains mais elle avait l'impression d'y être. Trop dur.

"Aujourd'hui tu te pavanes et tu exposes fièrement ce corps sans la moindre pudeur. Mais attends un peu de faire des enfants, tu verras comme c'est délicieux de ne plus attirer le regard de son propre mari - Tu seras la pire mère qu'il soit, parce que tu es la pire enfant - Tes enfants vont te mener la vie dure, ils vont te rappeler combien tu m'as gâché la vie - Et au final, tu vas finir par les haïr autant que je te hais moi - Tu sais que tu serais douée pour n'être que la maîtresse? Le deuxième bureau? - Tu n'as pas honte de détourner les regards des hommes d'autrui dans la rue? - Tu auras beau tout faire, aucun homme digne de ce nom ne saurait s'intéresser à toi. Regarde un peu comme tu t'habilles, on dirait une traînée".

Et pourtant, que lui reprochait-elle réellement dans son style vestimentaire? Les robes qui s'arrêtaient juste au dessus des genoux? Ses sœurs s'autorisaient les mêmes! Ses décolletés nature et innofensifs? Salimata était loin devant! Ces jolis pantalons qui mariaient sans faute ses rondeurs? Quelle femme de son âge n'en mettait pas?

Elle avait envie de prendre sur elle, pour une fois. Mais lorsque ses yeux enfermés derrière ses paupières revirent le jour, une force reposa son poignet sur les carreaux. C'était Mamadou.

Il apposa ses mains sur les épaules de Bineta et glissa très lentement le long de ses bras.

- Elle a dit...

- Rien du tout Bineta... Il faut que tu arrêtes de prendre tout ça en compte.

Les mains de Mamadou avaient désormais atteint celles sa compagne et leurs doigts s'entrecroisèrent.
Elle renifla et fit face à son mari dont elle agrippa le débardeur.

- Comment ignorer les malédictions d'une mère?

- Ne vois pas les choses sous cet angle. Ses mots n'ont aucune influence sur ta vie. C'est à toi de décider.

- Je crois qu'il est un peu trop tard pour ça.

- Non, pas encore. Il n'est pas trop tard pour pardonner...

- Pardonner?

- Oui Bineta, pardonner. Pardonne lui ma chérie, enterre la hache de guerre, envoie balader toutes ces horreurs qu'elle t'a dites. Non seulement tu te sentiras plus légère, mais en bonus, tu pourras vivre sans avoir à t'en soucier.

- Je ne me crois pas capable de lui pardonner. C'est... trop dur.

- Mais pas infaisable. Je sais que cela ne suffira pas, mais commence déjà par le vouloir.

- Je ne peux pas.

- Bineta...

- Je ne... veux pas.

Il souffla.

- Dans ce cas, pourquoi vas-tu la voir? Pour la regarder... mourir?

- Peut-être bien.

Une haine abyssale. Pour porter une telle détestation aux entrailles d'où a piqué sa petite bouille, elle devait en avoir bien trop lourd sur l'âme. Son regard exprimait un tel mépris, un tel dégoût, un esprit sadique qui voulait se faire le malin plaisir de savourer chaque étape de la mort d'une mère invivable.

Elle refit face au lavabo. La plaquette bruissa et un comprimé en fut libéré.

- Je suis désolée Mam... Mais je ne peux pas, pas encore. Tu as beau me rassurer, j'ai beau vouloir te croire mais...

Elle avala la drogue anti-bébé.

- Désolée...

Au moment où elle aligna deux pas pour quitter la douche, il la retint par le poignet.

- J'ai attendu Bineta. Et je vais encore attendre, aussi longtemps que je le pourrai. Mais je suis un être humain. Et contrairement à ce que cela pourrait paraître, avoir des enfants de toi, et seulement de toi, n'est pas qu'un désir. C'est un besoin. Pour moi, c'est une nécessité... Alors quand je serai fatigué d'attendre...

Il se déplaça largement pour que leurs faces se retrouvent face à face,

- Je ne vais pas choisir une autre femme, encore moins t'en mettre une autre sous le nez comme le ferait mon père. Mais crois-moi, ces enfants là, tu vas me les donner parce que... Je vais te mettre enceinte Bineta. Je te le jure.

Si le regard du dîner lui avait laissé un frisson dans le dos, les mots-ci lui donnaient des sueurs froides. Elle savait jouer les folles, se rebeller quand il fallait. Mais elle était tout aussi consciente de ce que son homme était capable de faire. Rien qu'à s'en souvenir, rien qu'à y penser, elle avait froid dans le dos. Elle se demandait tantôt si elle avait bien fait de lui pardonner ce qu'il avait fait par le passé. Elle avait beau se répéter que ce n'était arrivé qu'une fois, une petite voix lui soufflait que ça pouvait se réproduire.

Il abandonna ses lèvres dans les cheveux de Bineta et ses pensées se dissipèrent aussitôt.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant