49- Jour-J moins un.

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Entre les cent pas et les appels, Mamadou n'avait toujours pas réussi à trouver une solution à son pseudo-dilemne. S'il ne tenait qu'à lui, il était résolu depuis belle lurette. Mais l'avis de sa femme comptait énormément. Il ne voulait pas prendre le risque de porter préjudice à sa promotion en allant la rejoindre; il lui fallait prendre ses dispositions.

Cependant, reporter, avancer ou déplacer le lieu d'un rendez-vous ne risquait pas d'être du gâteau. Chaque concerné clamait son indisponibilité, l'emploi du temps chargé et les autres rendez-vous importants. Mais il s'en fichait lui! Tout ce qu'il voulait, c'était qu'on le laisse enfin retrouver sa femme.

D'ailleurs, cette dernière était déjà trempée dans un pluie de bénédictions: la bouche qui avait maudit, était devenue la bouche qui bénissait.

– ... Et lorsqu'ils seront grands, indépendants, des hommes ou des femmes, ils feront ta plus grande fierté.

Ainsi s'acheva l'héritage verbal de Bineta. Les yeux fermés, elle avait laissé toutes ces paroles divines pénétrer ses pores et emplir son corps. Elle avait laissé toutes ces prières atteindre son bébé. Et lorsque ses yeux se rouvrirent, elle se blottit dans les bras de sa mère.

Agréablement surprise par ce geste, la mère enroba son enfant de toute son âme, comme jamais ne l'avait-elle fait quand ce n'était qu'un être fragile et sans défense.

– Pourquoi? Pourquoi tu ne m'as jamais aimée n'nan? J'ai toujours tout fait comme tu voulais, tout pour te plaire...

– Pardonne-moi Bineta, je ne peux que te demander pardon... Parce que rien de tout ce que je dirai ne sera jamais assez pour justifier mon comportement. Pardonne juste la mauvaise mère que j'ai été.

– Je ne sais pas si je pourrai...

Larmes de mère et fille s'amalgamaient dans un flot d'émotions. Limata et Idja assistaient, émues, à la scène. Et si la plus vieille en comprenait à moitié la profondeur, la benjamine en était encore trop loin. Mais Idja n'était pas naïve, juste trop gentille et trop fragile: elle l'avait compris, il y avait une partie de l'histoire qui lui était cachée. Et à tort pensait-elle qu'à Limata aussi. Ele était démangée par l'envie de savoir.

***

Du tac au tac, une nouvelle nuit s'écrasa sur Ndar. Et rien n'était gagné pour ce cher Mamadou.

– Oui monsieur Abadd, je comprends parfaitement votre refus mais...

" Il n'y a donc pas de mais très cher. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j'ai des choses importantes à faire. ”

– M...

Le marocain avait déjà laissé des bips agaçants derrière lui. Mamadou l'encaissa sportivement, si sportivement que son portable atterit dans le mur!

Il lissa ses cheveux vers l'arrière et ramena ses mains à la base du nez: c'est seulement qu'il comprenait ce qu'il venait de faire. Il avait jeté à l'eau, le seul moyen de contacter son épouse. Quel sombre idiot. Mais d'où lui venait une telle rage? Il y avait longtemps qu'il n'avait pas laissé sa colère prendre autant le dessus. Le jeune homme colérique et incontrôlable qu'il était dans le passé refaisait-il surface?

Il essayait de se trouver des excuses. Beaucoup trop de tension accumulée: le comportement de sa femme, les échecs essuyés à essayer de déplacer ses activités professionnelles histoire de programmer un vol pour Abidjan. Il n'allait malheureusement pas pouvoir être avec sa belle abidjanaise ce soir, il allait rester seul, encore. La présence de Hawa ne comptait pas – du moins, pas comme celle de son épouse.

Cela faisait déjà un long mois! Ou presque. C'était de la pure torture. Et la savoir contrariée ne faisait qu'empirer son angoisse. Il ferma alors les yeux et s'affala dans leur lit rebondissant. Le cadre photo de leur mariage lui retomba sous les yeux. Seul un soupir désappointé s'échappa de sa bouche. Dans sa tête, Bineta riait de joie.

***

À Yopougon, Bineta se fondait petitement dans son lit. Ses yeux lourds s'alourdissaient davantage. Mais elle amadouait le sommeil pour qu'il lui laisse un peu de temps: son mari devait l'appeler comme tous les soirs. Il ne l'avait pas rappelée de la journée. Et chaque fois que ses cils battaient, c'était comme une bataille de perdue.

C'était déjà le dernier battement et il n'avait pas appelé. Il n'allait pas le faire? Lui en voulait-il? L'avait-il oubliée? Il voulait la punir, lui montrer que si elle ne voulait pas de lui auprès d'elle, il pouvait tout aussi bien se passer d'elle? il voulait la frustrer pour qu'elle réagisse, qu'elle l'appelle et le supplie pour qu'il vienne? Toutes sortes d'idées se heurtaient dans l'esprit de Bineta.

Les fines lamelles qui empêchaient encore la collision de ses paupières s'effacèrent complètement, son esprit perdait presque contact avec le monde des vivants. Mais soudain! Son portable vibra! Une fois! Deux fois! Et la troisième fois, elle retrouva la moitié de ses esprits, assez pour distinguer la silhouette de son téléphone dans la faible luminescence de la veilleuse.

" Tu as gagné Bineta. Tu ne me verras pas ce soir. ”

– Tu penses que tu ne me manques pas à moi aussi?

“ Non, biensûr que non. C'est simplement que je ne te manque pas assez, pas autant que tu me manques à moi. ”

– Arrête de dire n'importe quoi. Tu sais très bien que c'est faux.

“ Alors, pourquoi n'as-tu pas voulu que je vienne? Tu t'y es opposée comme si ta vie en dépendait. ”

– Disons que tu n'es pas loin de la réalité.

“ Comment ça? ”

– Je ne veux plus jamais être la raison pour laquelle un rêve finit brisé Mam.

Nom d'un arbre, Mamadou aurait dû être psychologue. Cerner son épouse en serait devenu un jeu d'enfant. Toute cette histoire autour de sa mère avait, de façon spectaculaire, réussi à embraser la totalité de sa vie. Dans chaque bout de son existence, il y avait un traumatisme qui s'expliquait par la désaffection maternelle qui la déterminait.

– Ni moi, poursuivit-elle... ni mon enfant... Je ne commettrai pas la même erreur deux fois. La première fois, je n'en savais rien, je n'ai rien pu faire contre. Au contraire, je me suis battue pour vivre, j'ai survécu à deux tentatives d'avortement, alors qu'il aurait suffi que je me laisse partir, pour elle... Cette fois-ci j'en ai pleine conscience, et je peux l'empêcher, alors ne m'en empêche pas.

“ Je n'en reviens pas... Ta complexité me fascine. „

– Ça n'a rien de fascinant.

“ Bien au contraire, détrompe toi. Et puis d'abord, c'est à moi de décider d'être fasciné ou non. Ensuite, je t'interdis de regretter ta naissance, car c'est en elle, que réside euh voyons voir... toute mon essence. ”

Malgré sa tentative pour demeurer sérieuse, Bineta explosa dans un rire amusé.

– Attends, c'était une rime là.

“ Mon prof de français serait fier de
moi. ”

– Moi devant lui...

“ Mais franchement Nénette, il est vrai que je ne t'aurais pas connue, je n'aurais même pas eu connaissance de ton existence puisque tu n'existerais d'ailleurs pas mais... une petite voix me dit que les choses n'auraient jamais été aussi bien.”

– Ça fait longtemps que tu m'as appelée comme ça.

“ Ça t'a manqué? ”

— Hmmmm... Peut-être...

“ Tu me manques ”

– Ah bon hein? Alors pourquoi tu as mis autant de temps à appeler?

“ Eh bien disons que... le téléphone a eu un léger accident. ”

– Léger accident? Ne me dis pas que tu l'as perdu dans un caniveau comme la dernière fois.

“ Je suis presque certain que tu préfèrerais que ce ne soit qu'un caniveau. ”

– Toi tu me caches des choses.

“ Non pas du tout mais... je te montrerai à ton retour, tu vas adorer. ”

Elle avait bien compris que ce n'était qu'un sarcasme. Du coup, elle avait hâte de découvrir.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant