Occupée à faire des omelettes pour le petit-déjeuner de son mari, Bineta aurait tant aimé qu'à ce moment là, il ne soit pas encore réveillé.
Déjà habillé pour le boulot, il ne comptait pas encore la lâcher. Cela ressemblait presque à une dispute, mais il n'y avait pas d'insultes: Bineta n'était plus elle-même.- Bineta, il faut qu'on en parle.
- Et je t'ai déjà dit qu'il n'y avait plus rien à dire à ce propos. Tout ce qui devait l'être a été dit hier.
Hier? Qu'est-ce qui avait bien pu être dit la veille? À part: «ma mère est mourante». Tout le reste n'avait été que flot de paroles réconfortantes. Puis elle s'était endormie encadrée par l'enveloppe de son époux. Il n'avait pas cherché à prolonger la discussion. Elle avait mis près de vingt-quatre heures à lui en parler, alors il fallait y aller «molo molo».
Par contre, c'était déjà le lendemain et il voulait aborder l'autre pan de l'affaire. La mère de madame était mourante mais elle n'avait même pas songé à vouloir lui rendre visite. Elle n'avait même pas daigné en informer son mari sans qu'il n'ait à le réclamer. Bineta n'avait pas cherché à savoir comment elle allait, lui apporter son soutien, rester auprès d'elle; c'était sa mère bon sang! Une femme qui était partie à la mort pour lui offrir la vie. Et cela, Mamadou ne pouvait le concevoir. Pour lui, une mère devait être vénérée, pas ignorée, reléguée au second rang, oubliée.
Il y repensait d'ailleurs, depuis plus de deux ans de mariage, ils n'étaient allés rendre visite à sa belle-famille que... Jamais, alors qu'ils avaient bien souvent rendu visite à sa famille à lui. D'aucuns utiliseraient l'excuse de la distance: c'est Bineta qui avait déménagé de Yopougon à Ndar, pas sa famille, pas sa mère, pas ses deux sœurs. Mais il n'en fut pas moins que la famille demeurait la famille. Pour Mamadou, aucune excuse ne justifiait son attitude.
- Bineta, ta mère est mourante!
- Je sais, c'est moi-même qui te l'ai annoncé... Et d'ailleurs je commence à le regretter.
- Mais comment peux-tu...?
Il essaya de se calmer. Elle allait mal, lui crier dessus n'arrangeait pas la situation. Il se rapprocha alors d'elle tandis qu'elle refermait le robinet à gaz.
- Bineta... Bineta, s'il te plaît, regarde-moi.
Elle hésitait encore à obtempérer. Son mari lui prit la main posée sur le robinet et la fit tourner vers lui. Même si elle gardait sa petite tête baissée, il allait quand-même jusqu'au bout de ses idées.
- Je sais que tout ceci ne doit pas être évident pour toi. Tu as peut-être peur d'aller la voir parce que tu as peur de ne pas le supporter mais... Tu dois y aller. Elle a besoin de toi, même si tu ne peux pas l'aider, même si tu ne peux pas la sauver, te savoir à ses côtés ne peut que la réconforter. Tu as le droit... Et le devoir de lui dire aurevoir... Une mère ça ne se vend pas, tu pourrais te remarier mille fois, avoir autant de maris que tu pourras, mais personne ne sait encore comment on fabrique une mère Bineta, ça ne se rencontre pas, ça ne se choisit pas. Une mère reste une mère.
- Alors, c'est que je n'en ai jamais eu.
Elle lui arracha ses mains, se saisit du plateau et se dirigea vers la salle à manger. Il se demandait ce qu'il avait loupé chez cette dame.
Bineta était sauvage, rebelle, incrédule, «le nez avant la honte», mais elle n'était pas sans cœur. Ce qui le laissait croire que pour qu'elle en arrive à renier sa mère, le problème sous-jacent devait être gravissime. Et pourtant, il n'avait jamais remarqué la moindre tension entre la fille et la mère. Les quelques fois qu'il s'était rendu chez elle à Abidjan, elles ne partageaient pas une relation ultra-fusionnelle. Mais le strict minimum semblait y être: respect, obéissance... Il ne les avait jamais vues en froid, si l'on déconsidérait les épisodes de sermons et de réprimandes. Lui aurait-elle caché un éventuel conflit entre sa mère et elle? Il ne risquait définitivement pas de cerner cette petite dame.
Il la poursuivit dans la SAM et lorsqu'elle fut sur le point de le dépasser pour regagner la cuisine, il lui fit barrage: à gauche puis à droite!
- Mamadou laisse moi passer.
- Pas tant qu'on aura pas parlé.
- Tu vas être en retard au travail.
- Peu m'importe, je trouverai bien une excuse. J'appelerai et je dirai que tu es gravement malade. Et à bien y penser, ce n'est que la vérité.
- Tu penses que je suis malade parce que je ne veux pas aller voir cette... femme?!
- Non je te trouve malade parce que tu as osé renier ta mère.
Elle sembla perdre pied une seconde, baissa la tête, prononça faiblement:
- Cette femme... N'est pas ma mère.
Et elle le laissa en plant une seconde fois. Mais il comptait bien à ce que ce fut la toute dernière. Lorsqu'il la retrouva dans la pièce à casseroles, il l'emprisonna contre le paillasson et disposa ses gros bras en guise de barreaux.
- Est-ce que tu t'entends quand tu parles? Cette femme qui t'a portée pendant neuf mois...
- Sept. Je suis née prématurée.
- Tu ne me l'avais jamais dit ça.
- Quoi? Tu aurais décidé de m'épouser deux mois plus tôt? Ou de me demander en mariage deux mois plus tôt? Ou alors tu serais retourné dans le passé pour me rencontrer deux mois plus tôt? Mamadou, je te le dis et je te le répète... Pour la dernière fois, je n'ai pas... De mère.
- Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre vous pour que tu la haïsses à ce point?
Elle le regarda la tête haute et expira profondément comme pour empêcher les mots de sortir.
- Tu vas être en retard au boulot Mam.
Il en fut tellement dépassé que ses mains lâchèrent le rebord tranchant des carreaux, autorisant Bineta à s'enfuir, le laissant en plant, une troisième fois.
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Mamadou & Bineta 🖤
RomanceAprès deux ans de full love sur le sol sénégalais, le mariage de Mamadou & Bineta ne bat plus que d'une aile. Derrière ses airs de femme téméraire et insoumise, Bineta cache des blessures que même son mari ne suspectait. Mais lorsqu'un soir, elle re...