51-Une drôle d'histoire de chute comateuse.

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Il mordait dans son stylo, assis dans son bureau, c'était devenu trop, rien n'était plus beau. Trois coups traversèrent la porte de son cabinet. Il ne les entendit pas tout de suite. Puis trois nouveaux tocs résonnèrent.

- Entrez!

La porte semblait hésiter à s'ouvrir alors il se répéta.

- Entrez!

Il était quand-même agacé.

La poignée tourna sur elle-même. Elle y était presque et il n'en pouvait déjà plus. Soudain! La poignée regagna sa place et la porte ne s'ouvrit jamais.
Intrigué, il se leva et accourut à la porte. Lorsqu'il l'ouvrit, colossale fut sa surprise.

- Bineta?!

Elle était comme faite de marbre car ne bougeait-elle plus. C'est à peine s'il remarquait son souffle.
Elle ravala sa salive, cilla et se retourna sans broncher. Mais il la rattrapa et lui barra la route.

- Ça va?

- Non, répondit-elle d'une voix à la limite du tremblement... Je t'ai attendu pendant tout un mois Mam, je t'ai espéré, et je me convainquais que tout ça devait avoir une bonne explication et... il se trouve que c'était le cas mais... tu es venu un peu trop tard quand... quand j'avais déjà perdu espoir... Je te promets que je n'ai jamais voulu... avorter mais... je ne savais pas comment... Je ne voulais pas... J'ai... Notre histoire ne peut pas finir comme ça.

Comme deux poissons dans l'eau, ses yeux nageaient dans ceux de Bineta: elle avait raison, leur histoire ne pouvait pas finir ainsi.

Il balança la tête de haut en bas, stressant son abidjanaise. Cette femme qu'il aimait, malgré les mois fous qu'il avait passé à tenter de se l'arracher du cœur.

- Viens, la convia-t-il.

Soutenant férocement les larmes emprisonnées dans ses yeux, elle opina du chef et passa devant lui.

C'était cinq ans avant qu'ils ne se disent oui.

Ils n'avaient pas fait grand-chose ce soir là. Ils ne s'étaient même pas embrassés, même pas câlinés, ils avaient juste discuté. Du moins, avaient-ils essayé, parce qu'il y avait un grand fossé pour les séparer.

Elle avait effectué le voyage depuis Yopougon, des dizaines d'heures de bus pour le retrouver. Il ne pouvait nier l'agrément de cette surprise.

Bien des semaines avant ces retrouvailles, Mamadou était introuvable sur tous les radars. Il avait pourtant promis à «sa yopougonnaise» qu'il reviendrait à elle, pour obtenir l'accord de ses parents. Au fond, le mariage n'était pas son idée, mais celle de la jeune femme. Elle se condamnait pour lui avoir offert son intimité. Elle voulait donc retrouver cette dignité qu'elle jugeait perdue: il devait l'épouser. Autrement, elle l'aurait quitté: « Si tu ne trouves pas que je suis assez bien pour devenir ta femme, alors que je t'ai déjà donné tout de
moi, je n'ai plus aucune raison de rester avec toi, et de te laisser continuer à m'utiliser! »

Il était tiraillé dans tous les sens. Il tenait à elle, cela ne faisait aucun doute. De là à l'épouser au bout d'un trimestre seulement, il trouvait cela un peu trop précipité. Mais après tout, le mariage n'était qu'un protocole de plus, une façon bien gigantesque d'officialiser leur union. Il lui avait donc fait la promesse de:

- [...] revenir très bientôt. Mais je ne serai pas seul cette fois, je serai avec les miens, et nous irons rencontrer les tiens.

- Quand reviens-tu?

- Je ne saurais te donner une date précise mais... ce sera bien assez vite parce que je ne tiendrai pas bien longtemps loin de toi.

- Beau parleur.

- On s'appelle tous les jours, d'accord?

- Tous les jours.

Mais il n'y avait jamais eu d'appel. Il avait pris la route, ou plutôt les airs. Il était rentré au Sénégal, sain et sauf. Mais une banale chute de sa hauteur l'avait enfermé dans un sommeil de plus d'un mois.

Le matin où il avait atterri, sa petite sœur en faisant le ménage, avait accidentellement versé un saut d'eau mousseuse sur le sol. Distrait par les voix mélangées de ses frères qui couraient lui souhaiter la bienvenue, il avait mis pied au mauvais endroit. Un choc direct avec le sol l'aurait sans doute épargné. Mais le rebord tranchant de la première marche n'avait pas su résister à l'envie d'accueillir son crâne. Le heurt était beaucoup trop violent et il n'avait sans doute pas eu le temps de profiter de sa douleur. Emporté dans un lourd coma.

Lorsqu'il réouvrit enfin ses yeux, Bineta fut la première chose à lui échapper. Son téléphone était demeuré éteint tout ce temps, aucun appel de sa belle n'avait jamais abouti. Il avait alors à son tour tenté de la joindre. Elle n'avait décroché que la première fois, puis raccroché sans mot dire. Mamadou n'osait imaginer ce qu'elle devait penser de lui.

Mais dès que son état lui eut permis, il sauta dans le premier avion pour Abidjan. Il aurait déjà dû deviner que ni Bineta ni ses sœurs ne voulaient le voir en photo. Il avait beau parler sur cette terrasse, les sœurs protectrices ne voulaient pas qu'elle le revoit, même pas en rêve. En se fiant à l'attitude des sœurs, Mamadou devinait que sa copine se cachait à l'intérieur. Mais l'arrivée de celle-ci lui donna tort. Rentrant de la faculté, elle les avaient retrouvés tous les trois, alignés sur la véranda.

- Bineta...

Elle sentait la rage grandir en elle, en même temps que les larmes envahir ses yeux. Respectueuse de son sacré caractère, elle s'avança vers Mamadou et orna sa joue de ses doigts petits mais efficaces. À la seconde où il revenait de la première gifle, elle enchaînait sur une deuxième! Les locataires n'étaient pas choqués, elle n'avait jamais changé. Ils avaient seulement mal pour le jeune homme. D'ailleurs, elle voulait lui en coller une troisième, mais sa petite-sœur l'en empêcha.

- Han nan'w, ton u buassé [Calme-toi grande-sœur, s'il te plaît.]

Bineta s'arracha à sa sœur et claqua la porte du salon derrière ses fesses!
Le jeune homme était interloqué mais surtout humilié. Il comprenait sa colère, il connaissait son caractère, il aurait dû s'y préparer. Mais peut-être que le coup sur sa tête lui avait lavé le cerveau.

- J'étais dans le coma Idja. Je n'ai jamais choisi de l'abandonner. Autrement, je ne serais jamais revenu... Je repasserai demain... Parle-lui, je t'en conjure.

Il avait choisi Idja, car elle l'aimait bien depuis le début. Il l'avait choisie parce qu'elle était l'une des raisons pour lesquelles Bineta avait fini par accepter d'être à lui, parce qu'elle n'avait jamais cessé d'intercéder pour lui, et parce que malgré les apparences liées à l'âge, elle était bien plus mesurée que son aînée, Salimata.

Sur ces paroles, Mamadou s'en alla, troué par les regards perçants et désolés qui le suivaient.

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Coucou, c'est encore moi avec un grand retard, je m'en excuse😂.
Alors, un petit saut dans le passé, ça vous parle?
Rdv mardi prochain (j'espère😂) pour la suite.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant