Bineta resplendissait de mille étoiles. Et St-Louis n'avait jamais connu une telle cérémonie de baptême.
Tout le monde était invité. Les hommes, les femmes et les enfants. Les amis, les collègues et la famille. Les citadins, la diaspora et les ruraux. Les fortunés, les modestes et les pauvres.
Alors que les geles¹ prenaient plus de place que les femmes qui les portaient elles-mêmes, les tarwons¹ passaient presque inaperçus, éteints par la flamme des brocarts ostentatoires. Ils étaient rares, mais les isicholos¹ se grattaient contre les cieux. Les bazins, plus onéreux les uns que les autres battaient de loin le soleil. Le wax n'avait presque plus d'existence, même si ses couleurs enchevêtrées apparaissaient par endroit, sous des formes de plus en plus complexes.Toutes les faces féminines étaient colorées, leurs traits totalement redessinés. Et au milieu d'elles, les infinissables grands boubous s'imposaient. C'était le costume incontournable, pour les grands chefs invités. Certains plus jeunes s'affichaient moins, dans leurs tuniques en bazin riche. À leurs pieds, les babouches à bout pointu, volaient la vedette aux autres chaussures. Nul n'avait osé le costard moderne, encore moins le nœud papillon! C'était l'Afrique toute entière qui vivait. C'était la beauté de sa culture et de sa mode qui était mise au devant de la scène. Cela étant, nombre de jeunes dames s'étaient donné pour mission de casser l'enseigne de la tradition. Les tissages ou les longues tresses, les décolletés audacieux et les combinaisons très près du corps. Certaines mini-robes en velours, en lace ou en soie, remontaient même jusqu'au milieu des cuisses.Tous les reliefs qui construisaient les limites du continent, se dessinaient dans leurs vêtements dangeureux. Et face à ce spectacle que Bambouré jugeait indécent, il aurait adoré pouvoir les mettre à la porte. Mais il se résignait à rejeter la faute sur leurs parents, qui n'auraient pas donné la "bonne éducation" à leurs filles.
Les joyaux: les bijoutiers du Sénégal tout entier avaient dû s'enrichir autant que les couturiers du pays. D'ailleurs, l'art du henné décorait la peau de presque toutes les femmes.
Personne ne s'était négligé. Et d'ailleurs, même les moins riches s'étaient sans doute ruinés, pour ne pas se sentir inférieurs aux autres.
Aucun mot n'aurait suffi pour expliquer à Astou que son baptême n'était en fait qu'un festival de chic-fashion international.
Et le charmant Mamadou Cissé ne s'était pas défilé. Un gobi¹ très brodé, comme la majorité des hommes. Par contre, il avait préféré éviter le boubou. Une tunique à manches longues dessinait hypocritement ses muscles et sa paire de derbies cacao, l'une des rares de la soirée, laissait entrevoir ses malléoles. Le bois d'olivier de son collier de perles était sans doute la seule trace de la nature dans son look.
S'il n'y avait pas ces grosses notes musicales dans le fond de la maison, le bout aiguisé des talons, ainsi que l'épaisseur des semelles rendraient tout le monde sourd. Seul le sol en patissait, constamment piétiné par les femmes de qui se démenaient pour que tout le monde soit convenablement servi.
Entre le Mollé² et le Khoudjéli², tous les Soninkés conviés ne pouvaient que s'en mordre les doigts. Le thiéboudiène² mettait tout le monde au diapason. Mais le déré², le demba téré², le mafé², pour ne citer que ceux là, faisaient luire, toute la richesse gastronomique de leur peuple.
Pour ceux qui n'en avaient jamais consommés, c'était la découverte de l'année. Les plus pressés se perdaient sauvagement dans leurs plats. Et les plus patients soignaient difficilement leur façon de manger.
Un Basunde³ avait été réalisé, à l'honneur des convives qui venaient de loin, ces mêmes que le père de Mamadou avait eu un mal fou à inviter au mariage de son fils, car jadis, il n'aimait pas sa bru.
Conscient des déconvenues qui pourraient découler de l'alcool, Bambouré avait pris la peine de coller un contrôle spécial aux boissons. C'était strictement jus de bissap², bouye² ou tamarin pour les enfants. Quant aux connaissances qu'il savait ivrognes, leurs boissons alcoolisées étaient limitées. Ni Ladji ni ses femmes ne touchaient à l'alcool.
Bineta avait encore conquis, dans toute sa simplicité. Elle aurait dû renvoyer l'image du canard perdu, mais c'était sans l'ombre d'un doute, la seule femme de son âge, à peindre à la fois l'Islam et les Soninkés. C'était bleu. Et c'était beau. C'était simple. Et c'était sympathique. Sa coiffure était entièrement enterrée sous ce khimar qui camouflait aussi la splendeur de sa poitrine. Son kebaya cousu dans le même textile lui descendait largement en dessous des fesses, masquant presque leurs contours. Sa longue jupe, qu'il fallait soulever pour marcher se cachait presque derrière le kebaya. Ses sandales à talons carrés se donnaient donc à peine en spectacle. Et pourtant, elles en auraient valu la peine!
Ni strass ni paillettes! Pourtant Bineta resplendissait de mille feux. C'était, l'une des plus belles vues d'elle, que garderait son époux.
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1: accessoires de mode africains.
2: mets majoritairement Soninkés, à l'exception du thiéboudiène, qui est plutôt national au Sénégal.
3: plat de bienvenue chez les Soninkés, le Basunde consiste à immoler un mouton, un bœuf ou une chèvre pour accueillir un digne fils ou ami qui vient de l'étranger ou d'un autre village lointain, généralement après une longue période d'absence. On en parle également, quand on organise un repas pour le retour de la Mecque d'un père, une mère ou une tante. La visite d'une personne importante en fait aussi l'objet.
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Mamadou & Bineta 🖤
RomanceAprès deux ans de full love sur le sol sénégalais, le mariage de Mamadou & Bineta ne bat plus que d'une aile. Derrière ses airs de femme téméraire et insoumise, Bineta cache des blessures que même son mari ne suspectait. Mais lorsqu'un soir, elle re...