8-Drôle de façon de lui offrir un cadeau.

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Il était sorti, peu de temps après le déjeuner. Il ne lui avait pas adressé le moindre mot, pas avant de s'en aller. Et elle n'avait rien tenté non plus. Trop d'égo, trop de fierté, l'un d'eux allait-il finir par briser ce silence?

Même Titan - leur fidèle gardien - était triste. La patte dans les gazons, la grande boule de poile regrettait déjà ces journées ensoleillées, animées par les hurlements intempestifs de Mamadou et Bineta. La démarche énervée de sa maîtresse, l'air aguiché de son maître et l'éternel moment où il finissait pas lui courir après pour la rattraper, celui-là où ils disparaissaient tous les deux dans le séjour pour continuer de s'entretuer, alors qu'ils le laissaient seul dans cette grande cour, enfin, avec l'autre gardien, un humain! Le portier.

Un jour autre, elle ne l'aurait même pas remarqué, elle n'aurait pas senti ce vide qui lui traquait le cœur de coups. Parce qu'ils se parlaient toujours. Mais cette fois, le silence la rendait totalement folle. Elle mourait d'envie de le rompre, mais elle était beaucoup trop orgueilleuse pour s'excuser la première - de surcroît si j'ai raison!

Il voulait des enfants, elle en voulait aussi. Elle lui avait proposé un compromis mais il n'était pas d'accord - quel idiot! Il peut bien continuer de faire son malin, c'est plutôt facile de parler quand ce n'est pas lui qui va devoir porter cet enfant pendant neuf mois, pour finir complètement déformé! Non il en est hors de question, je ne ferai pas le premier pas.

Tout au long de cet interminable après-midi, elle n'avait pas cessé de jeter encore et encore des coups d'œil au travers des nacos, espérant que cette Mercedes montre le bout de son nez.

Elle avait fini par calmer ses ardeurs, s'occuper en cuisine. Il ne lui restait plus que cela à faire de toutes les manières. Même quand ils se faisaient la guerre, elle ne manquait jamais de lui faire sa cuisine.

Entre temps, elle fit un saut au marché, pour un ravitaillement plus ou moins complet. Mais à son retour, il n'était toujours pas là.

Le riz blanc parfumait déjà la cuisine, la sauce claire bientôt rendue à cuisson complète. Et même si le poisson friant dans la poêle dégageait un bruit perturbant, elle avait pu entendre Titan aboyer depuis la cour.

Elle décolla son joli derrière du paillaisson et se dirigea vers le salon. Au travers des fenêtres cachées derrière les rideaux translucides, elle parvint facilement à distinguer la projection des phares d'une voiture. Elle respira un bon coup et retourna à sa besogne. Il allait finir par entrer de toute façon.

Alors qu'elle retournait les morceaux de poisson dans la poêle, Mamadou atteignit l'entrée de la cuisine et s'y posta.

- Bineta.

Elle fit volte-face un bref instant et lui répondit froidement.

- Ah tu es là, bonne arrivée.

Puis elle retourna à sa cuisine. Il opposa son épaule au dormant et enfonça ses mains dans ses poches.

- Merci, répondit-il.

Elle ne s'arrêta pas de redisposer les pièces de thon dans l'huile, feignant l'indifférence.

- Ça va?

La vérité, c'est que ça n'allait pas. Mais jamais ne devait-elle se montrer faible devant lui, plus jamais.

- Bineta, tu pourrais répondre au moins.

Elle laissa l'écumoire en suspend et se tourna vers lui.

- Y a une raison pour laquelle ça ne devrait pas aller?

Il se sentit attaqué, mais se garda de réagir.

- C'est bien ce que je pensais, conclut-elle avant de lui offrir une vue phénoménale de son postérieur.

Il tenta de trouver les mots pour poursuivre, sans risquer une dispute. Mais il accepta très vite qu'il rêvait de marcher sur le soleil. Il s'ôta alors à l'embrasure et grimpa les marches.

Sentant ses pas s'éloigner, elle pivota sur son cou, baissa son regard sur le sol, contemplant les pas imaginaires de son mari fatigué de son caractère.

Faire la table, une bien trop grande routine: elle mit la table, disposa les faitouts l'un à côté de l'autre. Elle pouvait désormais retirer son tablier et inviter son mari à dîner.

- Mamadou? L'interpella-t-elle depuis la SAM. Mamadou! Le dîner est servi!

Mais il ne répondit pas, il ne descendit non plus.

- Mam?

Mais toujours rien. Elle se décida donc à aller le chercher là haut.

Il était assis sur le rebord du lit, tenant dans ses mains une paire de claquettes neuve. Celle qu'il avait décidé d'offrir à sa femme. Celle qui l'avait principalement poussé à quitter la maison dans l'après-midi. Celle qu'il voulait utiliser pour renouer. La paire était simple mais jolie. Un sourire allait se poser sur le visage de Bineta lorsque Mamadou lui balança la paire aux pieds!

- Tiens, c'est pour toi. Jeta-t-il en se levant du lit.

Humiliée, elle fixa le cadeau un court instant avant de revenir à son offrant.

- Tu étais vraiment obligé de me la lancer comme ça?

- Quoi les chaussures? Et comment aurais-je dû faire?

- Mamadou. Je ne t'ai pas demandé de m'offrir quoi que ce soit. Alors la moindre des choses que tu aurais pu faire si tu voulais me faire un cadeau, c'était de le faire bien.

- Ah oui? Vraiment?

- Oui. Riposta-t-elle ardemment.

- C'est bizarre, ça me fait ding dans la tête... Comment dire... Ah oui je sais, si tu veux faire des enfants, fais-le bien!

Elle se sentit offensée mais ne le montra guère, soutenant le regard insistant de son mari. Et alors qu'elle se sentait craquer, elle changea de sujet.

- J'ai fait le marché Mamadou. Et j'ai passé un bon bout de temps à la cuisine, alors tu ferais mieux de venir manger.

Elle s'éclipsa sans lui laisser le temps de répliquer. Elle n'avait pas peur de se disputer, mais elle n'en avait tout juste pas envie, pas ce soir.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant