54-Comme il est bon de te retrouver.

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Le grand portail bleu s'ouvrit dans un bruit métallique explosif. Mais ils y étaient habitués. Plus personne ne s'en plaignait, sinon les nouveaux locataires qui de toute façon finiraient pas s'y faire.

Nicolas, époux de Limata, était le seul homme parmi ces trois sœurs. C'était étrange, leur père avait pourtant un jeune frère et deux petites sœurs vivants: aucun d'eux n'avait eu la décence de pointer le bout de son nez à l'enterrement de leur frère. Alors, pour celui de Fanta, personne n'était plus étonné.

Les trois jeunes femmes étaient au courant de ce que les termes n'étaient pas de tout repos entre leur père et les siens, parce que l'éternel cliché de l'héritage avait sévi par le passé. Yacouba avait été doté de la maison de leur père en héritage. Jaloux, tous ses semblables s'étaient retournés contre lui. Et pourtant, ils avaient eu droit à leur part de patrimoine. Ils n'arrivaient juste pas à digérer que leur frère ait eu accès au plus gros, mais surtout qu'il ait su le rendre aussi rentable sans eux.

Les trois ivoiriennes n'avaient pas grandi dans la grande ambiance familiale. Leur père leur avait bien fait comprendre qu'elles n'avaient besoin de personne pour parvenir à quoi que ce soit, que nul ne pourrait leur faire du mal, même si elles devraient se méfier de leurs oncle et tantes. Ces trois là n'étaient jamais allés loin avec leur frère. Mais il ignorait jusqu'où ils seraient capables d'aller.

Les trois sœurs s'attendaient à les voir débarquer à tout moment. Puisque leurs parents étaient décédés, c'était l'occasion rêvée pour dépouiller les héritières légitimes.

Bon nombre d'habitants de la maison avaient assisté aux funérailles de madame Diallo Adou. Cette femme n'était pas que la femme du défunt propriétaire, elle n'était pas que l'ancienne nouvelle propriétaire, elle était une amie pour beaucoup, une deuxième mère, et même une simple connaissance pour certains.

Mélinda, l'éternelle camarade de Karidja, n'habitait plus là. Et pourtant, elle avait pris la peine de faire le déplacement. Elle comptait passer un bout de l'après-midi avec les sœurs éplorées.

Les locataires présentèrent pour une dernière fois leurs condoléances à la famille, avant de se diriger vers leurs habitats respectifs. Mélinda passait une main consolatrice dans le dos de sa copine, et Nicolas s'occupait de son épouse.

Bineta, elle, n'avait que son bébé à l'intérieur d'elle. Mais dans toute cette liasse d'événements divergents, elle s'arrêta brusquement derrière le portail. Son regard était figé et plein d'étoiles.

Sur la terrasse, Mamadou se leva de la chaise que l'un des habitants avait eu la gentillesse d'offrir à ses fesses.

Bineta ne bougeait pas et lui non plus. Salimata s'empara du poignet de sa sœur et la traîna jusqu'aux trois marches. Elle les gravit toute seule avant de se glisser dans les bras de son homme: ils s'écoutaient juste inspirer, puis expirer, inspirer, puis expirer.

Sali et Idja passèrent en adressant un sourire fade à Mamadou. Nicolas lui donna une tape amicale sur l'épaule, même s'il l'avait rarement vu par le passé. Mélinda se contenta d'un salut de la tête. Elle connaissait le monsieur, de nom et de visage, mais sans plus.

Tout ce petit manège passa inaperçu aux yeux de Bineta. Depuis un mois et six jours, son mari était reparti pour le Sénégal, c'était la première fois qu'elle avait droit à quelque chose d'autre que sa voix.

- Je suis allée voir papa.

Il ébaucha un tendre sourire.

- C'est bien ma chérie. Allez viens, on entre.

Tous les deux s'enfoncèrent dans le séjour. Tous les autres s'étaient installés dans les fauteuils du living-room. En les voyant venir, Salimata s'empressa de les rassurer.

- Vous devriez peut-être rester seuls un moment tous les deux.

Comme si elle avait lu dans leur désir.

Ils grimpèrent les marches et se retrouvèrent dans la carrée de Bineta. Elle se laissa littéralement tomber dans le matelas, avant que ne s'y installe son époux.

- Comment te sens-tu?

- Pas bien. Mais pas mal non plus... Je crois que... j'ai besoin de repos. Je suis... épuisée.

Il expulsa un souffle qu'il ne retenait plus.

- Tu es là depuis longtemps?

- Depuis ce matin mais... vous étiez déjà parties à mon arrivée donc... j'ai attendu.

- Je suis désolée qu'on t'ait fait attendre tout seul.

- Ce n'est rien... J'aurais peut-être mieux fait de prévenir au lieu de vouloir te faire la surprise.

- Mais j'adore ta surprise. Ne la regrette pas.

Elle n'en avait pas encore marre de ses sourires, alors il en étala un, le plus large depuis son arrivée.

- Tu as maigri, remarqua-t-elle en tirant facétieusement sur le nez de Mamadou.

- Ha ha. Tu peux être sûre que ce n'était pas qu'une question de bouffe.

- Ah non?

- Non.

- Le boulot, n'est-ce pas?

- Un peu oui. Mais c'est surtout parce que je réfléchissais trop... à un moyen de m'échapper pour atterrir ici.

- Et tu as réussi. Tu es un gagnant.

- Tu m'as manqué Bineta.

- Je sais, je suis ta vie.

Leurs fronts se rencontrèrent, puis leur nez se frottèrent. Enfin se croisèrent leurs lèvres rosées, desséchées par la distance, dépourvues de tendresse depuis bien des heures. Cela faisait si longtemps, plus d'un long mois, cinq interminables semaines, trente-quatre jours sur des centaines d'heures et des dizaines de mille de secondes.

- Je vais me doucher, décida-t-elle.

- D'accord.

Sous les yeux de son époux, elle dénoua la longue toile de popeline enroulée autour de sa tête, retira son long boubou aux couleurs froides et les laissa dans le panier à linge sale. Elle s'assura de lui révéler un petit sourire avant de s'enfermer dans la salle d'eau.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant