93- La question à mille dollars.

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La mine de Manël se gâta, et elle laissa tomber ses bras.

C'est magnifique.

– Quoi, ça... ça te déplaît pas?

– Comment? Mais t'as vu un peu ça? Il faut être aveugle pour ne pas aimer.

Il se leva de son siège pour la rejoindre à l'autre bout de la table. Il lui prit la toile des mains et elle éternua.

– Comment t'as fait? Je ne me rappelle pas avoir posé pour toi.

Elle étalait un sourire qu'elle ne pouvait pas arrêter.

– Une photo de moi peut-être?

– Non, en fait, j'ai une mémoire visuelle très développée. Autrement dit, je suis capable de prendre des photos avec mes yeux. C'est aussi pour ça que je n'oublie jamais un visage.

– T'es une espèce de génie alors.

– Si on veut.

– Mais je me rappelle pas cet endroit. Et je n'ai jamais mis cette chemise avec ce collier.

– Disons que j'ai mélangé diverses images de toi, et pour l'arrière plan, je l'ai inventé.

– C'est vraiment dommage qu'ils t'aient pas laissé poursuivre ton rêve, tu dois être remarquable en uniforme. En même temps, si c'est pour avoir des tableaux pareils, y a pas de quoi se plaindre.

– C'est gentil d'essayer de me consoler mais ça ne sert à rien... parce que j'ai toujours fait de la peinture, depuis le collège. Alors être dans l'armée ou non n'y a jamais rien changé.

– Je comprends. Il est magnifique ton tableau, je suis très honoré.

– Ça me fait plaisir. À un moment donné j'ai cru que t'aimais pas.

Il était encore concentré sur son portrait.

– Tu veux manger quoi?

– À toi de voir. C'est toi le chef.

Elle lui sourit et partit en direction de la cuisine. Il remarquait alors sa gandoura chocolatée. C'était bien la première fois qu'il la voyait mettre une couleur aussi éloignée du blanc.

Il posa délicatement la toile dans un fauteuil, avant de gagner à son tour la cuisine. L'objectif en venant était d'arracher Manël à la solitude et à l'ennui. La laisser cuisiner seule ne résolvait en rien le problème. En plus il devait s'assurer qu'elle n'éternuerait pas dans les casseroles.

Manël enfila son tablier et il entra.

– Ne me dis pas que tu viens cuisiner aussi.

– Pourquoi pas?

– Y a un autre tablier, juste derrière toi.

Il s'en empara.

Ça mijotait. Elle allait et revenait. Ils papotaient et rigolaient. Et de temps en temps, elle éternuait. Le quart de la boîte de kleenex devait déjà être à la poubelle.

Par moment, il fallait que Mamadou secoue ses yeux. Manël était son amie, mais ses rotondités échappaient à l'épaisseur du boubou. Il avait chaud, tout d'un coup. Il se giflait intérieurement, régulièrement.

Quant à elle, les paroles de sa copine lui trotinaient dans l'esprit. Elle avait finalement réussi à l'avoir au téléphone.

«Fais comme on a dit bébé, si t'as envie de faire quelque chose, fais-le. Et peu importe comment, t'es pas forcée de faire exactement comme moi je ferais. Parce que tu sais comme moi je ferais. Et je te le dirai jamais assez, ne manque jamais une occasion de te débarasser de ça.»

Fallait-il lui sauter dessus comme un animal? Y aller plus en douceur? Amira lui avait dit comment faire, elle lui avait même montré certains détails. Mais c'était bien moins évident devant un cas pratique. C'était plus compliqué, si chaque fois qu'elle l'approchait, son cœur battait aussi fort.

Et s'il la repoussait? Et s'il lui en voulait? Comment se sentirait-elle après? Mais surtout, comment la verrait-il après? Comme l'une de ces femmes vulgaires et sans vertu? Était-elle prête à prendre le risque de finir comme une putain aux yeux de Mamadou? Mais était-elle seulement prête à franchir le pas? Était-elle prête à vivre ce moment non renouvelable?

– J'ai l'impression qu'il faut encore un peu de sel. Tiens, goûte.

Alors qu'elle revenait déjà avec la boîte de sel, il arbora une mine horrifiée.

– Moi je trouve qu'il y a déjà trop de sel là.

– Quoi? Mais...

– Je rigole, ha ha ha!

– Oh espèce d'emmerdeur, tu vas voir.

Elle lui donna une tape contre l'épaule.

L'assaisonnement était désormais parfait. Au bout de quinze minutes, le robinet à gaz était refermé. Elle alla reposer le sel et revint se placer juste en face de lui.

– Dis-moi une chose Mam.

– Quoi donc?

– Tu penses quoi... des femmes qui se donnent avant le mariage?

Il ne l'aurait jamais vue venir celle-là. Et sur le coup, il était pris au piège.

– Par donner, tu veux dire...

– Oui, tu as tout compris.

– Euh...

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant