11-Et si je prenais une deuxième femme?

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Alors que le bruit des feuilles d'arbre fouettant l'air avait réussi à se faire tout petit, Paté et Niatou, cinquième et sixième enfants de Sira, envahissaient la pièce.

- Gida! [Grand-frère!] S'écrièrent-ils en courant, petits sacs au dos.

C'était déjà l'après-midi et ils rentraient de chez leur tante Dioncounda, l'unique sœur vivante de Sira. La majorité des dimanches matins, elle les kidnappait et les gâtait. Fenda et Daby, les troisième et quatrième avaient déjà eu leur tour en son temps. Quant à Coumba, la deuxième, mariée et attendant un bébé, ce genre de gâterie n'était plus d'actualité.
Ils étaient si heureux de revoir leur frère aîné, ils le voyaient peu souvent depuis qu'il avait emménagé avec Bineta. Pourtant, son père avait prévu qu'il vive en famille avec son épouse. Du moins, du temps où il ne connaissait pas Bineta.

- Mais qui va là!

La petite retrouvaille familiale n'était pas sans égayer Sira et bébé en profita pour manifester aussi sa joie.

- Ma, ça va? S'inquièta-t-il juste après qu'elle hoqueta.

- Oui. On dirait qu'il y a quelqu'un d'autre qui est heureux de voir son grand-frère.

Et cette blague coûta une foule de rire à l'unisson.

Ce fut dans cette même ambiance joviale que se tint le repas familial. Chez les Cissé, il n'y avait pas de dislocation. De la première à la dernière épouse, les enfants surtout y compris, tout le monde mangeait en même temps à la même table. Chaque épouse avait pour obligation d'aider ses semblables en cuisine, il n'y avait pas de tour de cuisine! Il n'y avait que des tours de chambre! Aïe aïe aïe...
Elles étaient très disciplinées. Aucune d'elle n'osait créer la zizanie, au risque de subir la colère du grand chef Cissé. Et même s'il avait toujours admiré la paix qui régnait à la maison malgré les trois épouses, Mamadou n'avait jamais été pour la polygamie.

En regardant tous ses frères et sœurs rigoler, se taquiner, s'agiter et se faire ramener à l'ordre par leur mère puis par leur père, il était encore plus avide de devenir père. Il se rappela ses mots en quittant la maison ce matin.

- Ne m'attends pas ce soir, je ne rentre pas dîner.

Il ne faisait jamais cela, et il ne comptait pas réellement le faire. Il ne s'était juste pas remis de la veille. Étrangement, elle n'avait pas réagi, sinon haussé les épaules. Elle semblait n'en avoir rien à faire. Et pourtant, elle ne l'aurait pas toléré en temps normal.

Sur cette dernière réflexion, il vida son plat, s'essuya les lèvres et reposa sa serviette de table.

- «Bon eh bien... Je pense que je vais devoir vous laisser.»

Toute l'assemblée rouspéta.

- «Mais tu n'es presque jamais là grand-frère», intervint l'un des plus jeunes en Soninké.

Personne n'avait le droit de parler quelque autre langue en présence de Bambouré. À l'exception rare du Wollof.

- «Oui reste, appuya une autre.»

- «J'adorerais les gars mais grand-frère a des choses à faire.»

- «Nooon...»

- «Les enfants», intervint Sira, «Grand-frère reviendra une autre fois, d'accord? Pour l'heure il doit y aller alors dites lui au revoir... Allez.»

En tournant son regard vers son fils, Sira lui fit un oui de la tête. Elle avait compris ce qu'il avait de si important à faire.

Mamadou se leva et tour à tour, ses jeunes frères lui firent un câlin d'aurevoir. Il embrassa ses mères sur la joue puis déserta accompagné de son père.

Entre sa voiture et le salon, les deux hommes discutèrent.

- «Écoute fiston, moi je n'ai qu'une seule chose à te dire. Tu es mon fils aîné, alors tu me dois des petits enfants. Tu es là alors que ta petite-sœur Coumba attend encore un bébé. Enfin, j'espère que celui-ci naîtra vivant.»

- «Papa...»

- «Non Mamadou. Papa rien. Tu me fais déjà cet affront là, alors dépêche toi de faire des enfants. Je veux voir mes petits enfants avant de mourir. À croire que mes enfants sont maudits.»

- «Tu ne mourras pas de sitôt, t'inquiète.»

- «En tout cas, fais des enfants... Et puis... Si elle ne veut toujours pas céder, elle n'est pas la seule femme de ce monde.»

- «Que veux-tu dire?»

- «Que tu ne devrais pas hésiter à prendre une deuxième femme.»

- «Ah non papa, on en a déjà discuté et tu connais mon avis.»

- «Libre à toi Mamadou. Mais réfléchis bien. Si j'avais réfléchi comme toi par le passé, tu ne serais pas né. Dois-je te rappeler que ta mère est la deuxième épouse? Et pourtant pose-lui la question, elle est tout sauf malheureuse. Et moi, je suis on ne peut plus comblé.»

- «N'empêche papa. Je ne veux pas de cette vie. Tu as peut-être réussi la tienne, mais moi je ne veux même pas essayer.»

Il mit le contact, passa la première vitesse et dessera le frein à main.

- «À bientôt père. Prenez soin de vous.»

- «Ce serait plutôt à toi de le faire... Et la prochaine fois que tu viens ici, que ce soit pour nous annoncer une grossesse et non pour te plaindre.»

Sur cette dernière remarque, il appuya sur l'accélérateur et fit pivoter le volant.

Au cœur de l'autoroute qui allait le reconduire chez lui, il se tordait le cerveau à décider comment il allait se comporter pour avoir des petits-enfants à son père, sans avoir à foutre son mariage en l'air. Sa mère avait raison: la cause réelle de ce refus était bien plus profonde.
Puis les mots de son père lui revinrent à l'esprit:

- «Regarde la et écoute la quand elle te parle, mais ne lui parle pas... Elle finira par craquer.»

L'accélérateur en prit un coup alors qu'il abordait un rond point.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant