26-Un vieux cadeau oublié.

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«Tu es belle comme le sang»

Entouré de l'invisible fragrance de l'eau, Mamadou sortait enfin de la salle de bains. Il passa le seuil, s'essuya les pieds, dépassa l'armoire à glace et sa vision périphérique ne le trahit guère. Lorsqu'il pivota sur ses talons pour donner forme à cette grosse tâche bordeau, son regard illuminé retailla cette pierre précieuse. Son sourire ne put s'interdire une nième parution. Il était tout simplement séduit.

- Parfaite, la complimenta-t-il.

Il découvrait seulement qu'elle ne l'avait pas encore remarqué, trop concentrée sur l'examen de son intime reflet dans la glace. Elle se sentit tirée de son petit monde et se tourna vers la voix qui l'en avait réveillée.

- Tu trouves pas que...ça fait trop? Hésitait-elle en jetant un regard interrogateur à la traîne.

- Je pensais que tu ne la mettrais jamais.

Elle releva sa tête, un air amusé sur la face. Cette robe-là, il la lui avait offerte pour son anniversaire, un jour où la dame s'était encore énervée. Elle avait accepté son cadeau. Elle était censée le mettre pour une petite festivité qu'il s'était échiné à organiser en son nom. Il en avait plus que marre qu'elle s'enferme chez eux, refuse de sortir sous prétexte d'être heureuse, d'avoir tout ce dont elle avait besoin à la maison. Pauvre de lui car elle ne daigna point honorer les invités de sa présence. Elle s'enferma chez eux et les laissa en plant. Son égo était bien plus important que tous ces gens qui l'attendaient pour célébrer le nouvel an de son existence. Il avait dû en inventer une bien grosse : "Bineta se serait soudainement sentie très mal, au point de ne pouvoir se déplacer jusqu'au lieu de réjouissance". Des jours après, tout le monde cherchait à savoir comment elle allait. Il tardait chaque fois à se rappeler qu'il était lui-même l'auteur de ce mensonge. Et cela ne faisait que remuer le couteau dans sa plaie. Il n'arrivait pas à concevoir qu'elle ait été capable d'aller aussi loin. Et pourtant, que n'avait-il pas supporté venant de cette femme? Que ne pouvait-il finalement plus lui pardonner? Il avait connu pire et pourtant il ne cessait jamais d'être choqué.

À l'instant t où son époux la fixait, Bineta mourrait d'envie d'oublier son égo, ne serait-ce que pour la seconde, histoire de s'excuser pour cet affront qu'elle regrettait derrière ses airs de désinvolture. Mais au moment où elle ravala son orgueil avec sa salive et s'apprêta à se lancer, la voix de son homme l'interrompit, lui faisant oublier toutes ses belles résolutions.

- Je ne pensais pas qu'elle t'irait aussi bien quand... quand je la choisissais.

- Tu as toujours eu bon goût, le rassura-t-elle.

- Tu en es la preuve vivante en effet... Tu es déjà prête là?

- Oui monsieur Cissé!

Il poussa une grande expiration d'accomplissement. Puis il se risqua tout de même à une remarque.

- Alors... Pourquoi j'ai la vague impression que t'as pas mis de chaussures?

Impossible de ne pas remarquer qu'elle était toujours enfoncée dans le sol. Lorsqu'elle enfilait ses talons vertigineux, la différence était évidente.

Elle se défendit automatiquement en dévoilant les sandales plates à ses pieds. Mais dans ce même élan, elle dénuda une partie de sa cuisse. Cette fente pouvait s'avérer dangereuse lorsque Bineta y glissait adroitement ses béquilles rondelettes.

Un sourire chassa la commissure des lèvres de Mamadou. Non seulement cette scène était planante mais en plus c'étaient les claquettes qu'il lui avait offertes des jours plus tôt. Celles qu'il lui avait balancées aux pieds.

- Tu les as mises...

- La prochaine fois que tu me donnes un cadeau de cette manière, je vais te l'envoyer là où on pense tous les deux.

- Ce ne sera pas nécessaire, répondit-il en l'approchant, ça ne se reproduira plus...

- Tu as plutôt intérêt.

- Par contre, je t'interdis de faire ça, reprit-il en retirant les mains de sa femme de la naissance de la fente fatale.

La robe retrouva son équilibre.

- Si jamais tu oses faire ça dehors, je vais te ramener à la maison, t'attacher et t'enfermer.

Sur un sourire malicieux de son épouse, il se retourna pour gagner la commode. Il allait bien falloir qu'il s'habille lui aussi, s'il voulait que cette sortie finisse par exister.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant