33-Je t'aime et je hais.

81 7 2
                                    

Il n'y aurait pu avoir de chaîne plus solide que les bras de Bineta autour de la poitrine de son homme.

Attentive aux battements de cœur de son époux, un sourire épanouï changea la forme de son joli visage. L'estomac de Mamadou gargouillait sous ses oreilles.

– J'ai faim.

– Moi aussi, répondit-il rieur.

– Mais j'ai pas envie de me lever maintenant.

– Moi non plus.

Mamadou changea très vite d'avis lorsque son ministre de l'intérieur gronda de nouveau. Elle glissa son oreille sur la poitrine de Mamadou et lui adressa un regard moqueur. Ils pouffèrent alors tous les deux. Puis il se redressa pianissimo, entraînant avec lui son épouse.

Tandis qu'elle s'apprêtait déjà à remettre son t-shirt par dessus les sous-vêtements, il l'arrêta.

– Qu'est-ce que tu fais?

– Eh bien... Je crois que c'est assez clair, n'est-ce pas? Allez, tends l'autre bras.

Elle commença déjà par s'exécuter. Mais alors qu'il allait passer au deuxième bouton, elle posa ses doigts sur ses poignets.

– Je sais que tu as vécu en France Mam, mais ici on est Sénégal quoi.

– Et alors?

– Et alors, je ne comprends pas ce que tu fais.

– Voyons, tu es plus intelligente que ça, n'est-ce pas?

– C'est du chantage psychologique là?

– Absolument pas. Alors, je peux continuer ou pas?

– Non.

– Mais...

– Non, se répéta-t-elle en retirant ses mains.

Elle fit exploser le seul bouton qui était déjà scellé et retira la chemise de son mari. Voyant la moue désappointée de Mamadou, elle lui lança un œil malicieux avant d'accrocher la chemise à son cou. Pour clore le sujet, elle lui accorda un baiser consolateur.

– Je veux que tu mettes cette chemise Bineta.

– Pourquoi faire?

– J'en sais rien... Dit-il armé d'une mine dévorante.

– Toi c'est sûr t'as maté trop de novelas. On fait l'amour et ensuite je porte ta chemise pour me balader dans toute la maison? T'en n'as pas marre un peu de tous ces clichés?

– Bah non, y a pas de quoi en avoir marre. Moi je trouve çaaa... Plutôt romantique.

– Garçon ton modèle j'ai jamais vu quoi. Moi de porter ta chemise après avoir fait l'amour.

– Oui, enfin... T'es pas non plus obligée de t'habiller.

Enjouée, elle leva un sourcil et le poussa au loin. Propulsé, il libéra sa nuque du tissu froissé et la regarda nouer son pagne.

– Allez viens, ordonna-t-elle, avant que je meurs de faim.

Il envoya balader la chemise, s'arrêta dans l'embrasure de la porte et y lança un ultime regard: un jour je la lui mettrai, de gré ou de force. Puis la lumière s'éteignit.

Pour la première fois depuis... même Dieu ne savait combien de temps, le dîner avait renvoyé le silence chez lui. Des rires et des regards, des mots et des grimaces. Si seulement toutes leurs soirées ressemblaient à cela.

– Vendredi soir... Il y a un vol prévu pour Abidjan.

– Ah. Répondit-elle sèchement.

– Ça va bien se passer chérie, d'accord?

– Mh.

Mine de rien, il venait peut-être de gâcher la soirée. Il aurait peut-être dû attendre le lendemain pour faire sortir la bombe.

– Tu m'en veux? Reprit-il après un long silence perçant.

Elle garda les yeux baissés et lui fit non de la tête. Pourquoi lui en voudrait-elle? Elle avait elle-même pris la décision de rentrer chez les siens. Et il avait choisi s'en occuper. Lui dire après aurait-il changé quoi que ce soit?

– Si si, tu m'en veux. Insista-t-il.

– Tu aurais pu attendre demain.

Elle le mitrailla d'un regard inquisiteur et il lâcha sa fourchette. Ses lèvres brûlaient dans une riposte tue. Mais sa patience et sa sagesse prenaient toujours le dessus. In fine, il quitta son dossier, réduisant de moitié la distance qui séparait leurs regards.

– Je vous aime madame Cissé, ne l'oubliez jamais.

Soudainement, Bineta replongea dans de bien vieux souvenirs.

***

– Mam... Mam, je suis désolée.

Elle s'attendait déjà à vivre le plus gros sermon de toute son existence. C'était bien la première fois qu'elle se sentait coupable au point de demander pardon à son fiancé. Sa fierté ne le lui permettait jamais d'habitude. Même pas la fois où elle avait failli arracher les cheveux à une collègue de Mamadou, parce qu'elle jugeait que cette «petite allumeuse» se tenait «un peu trop près de son homme». Même pas la fois où elle l'avait laissé en plant dans un restaurant. Même pas la fois où elle avait oublié son anniversaire. Habituellement, elle regagnait la bonne humeur de son chéri par la force.

Alors pour une fois qu'elle s'était rabaissée à demander pardon, elle n'osait même pas imaginer le savon qu'il allait lui passer.

– Mam dis-moi quelque chose, parle-moi.

– Bineta.

– Oui, répondit-elle d'une voix tiède et repentante.

– Je t'aime.

Plongée dans la confusion, elle releva sa tête.

– Tu... Tu ne me grondes pas?

– Si biensûr, c'est bien ce que je viens de faire.

– Mais tu as dit que...

– Je t'aime... Ça ne te fait pas mal de l'entendre?

– ...

– Tu m'énerves, tu le sais ça?

Elle lui tendit une lippe tristounette.

– Je suis désolée bébé.

– Je sais. Et même si j'ai bien trop souvent envie de t'étrangler... je préfère t'embrasser... C'est le seul moyen de fermer... cette petite bouche sans que madame ne proteste.

– Mademoiselle, rectifia-t-elle mutinement.

– Plus pour longtemps la sorcière. Plus pour longtemps...

***

Ôtée à ses souvenirs par un éternuement, elle retrouva son assiette en notifiant avec torpeur qu'il la fixait étrangement. Lui aussi pouvait avoir un regard à faire glacer le sang quand son démon rentrait de voyage.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant