46- Hawa, la petite villageoise indiscrète.

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Idja mettait déjà la table.

- Eh les deux sorcières là, vous venez m'aider?

Elles s'esclaffèrent et se levèrent spontanément.

- Non, toi tu restes assise, ordonna Limata.

- Mais...

- Tu es toute pâle mi bìn¹, reste assise.

- À vos ordres docteur.

Nic pénétra le séjour.

- Ah tu es là, l'accueillit son épouse. Tu arrives pile à l'heure pour dîner.

Il était muni d'un petit sachet, celui d'une pharmacie. Il le tendit à Limata qui le lui prit en arborant un clin d'œil mutin.

Pendant tout le dîner, Bineta ne pouvait s'empêcher de zieuter le sachet blanc, se demandant ce qu'il pouvait bien y avoir à l'intérieur.

C'était Idja qui s'occupait de leur mère. Bineta n'était ni mentalement ni physiquement apte, et Sali ne voulait pas laisser son mari seul.

Lorsqu'ils eurent fini, les deux sœurs débarassèrent la table et revinrent. Sali se saisit alors du sachet et le tendit à sa petite-sœur.

- Qu'est-ce que c'est?

- Regarde toi-même.

Bineta n'en revenait pas. Sa sœur était vraiment folle: et dire qu'elle avait fait autant de manège pour si peu, il aurait suffi de proposer tout simplement. Mais il fallait toujours qu'elle fasse les choses à sa façon, de façon compliquée.

- Allez, vas-y, on t'attend ici. Ordonna Limata.

Bineta sourit et se fondit dans les escaliers. Au moment où elle entrait dans sa chambre, son téléphone portable vibrait déjà. Elle se dépêcha de le gagner afin de décrocher.

- Mam.

" Ça va? "

- Oui... Tout va bien. Et toi?

" Tu me manques de ouf. "

Mais la seule réponse qu'il obtint fut un sourire qu'il ne pouvait malheureusement pas voir, sinon sentir, écouter, imaginer.

" Ça va toujours avec tes sœurs? "

- Oui, toujours, répondit-elle rieuse.

" Et...ta mère? "

- Comme d'habitude, souffla-t-elle.

Il posait la même question tous les soirs quand il appelait.

" Du nouveau? "

- À propos de quoi?

" Tout et n'importe quoi."

- Tu veux savoir si je suis fin prête à divorcer d'avec toi?

Il rigola derrière le téléphone.

" Non... Je voulais juste que tu me parles..."

- Il n'y a vraiment pas moyen que tu reviennes un jour ou deux?

" J'en sais rien... Tu sais combien c'est serré au boulot en ce moment. "

- Mmmh.

" Pourquoi est-ce que Dieu a créé la distance? "

- ... Pour qu'on se rappelle combien on tient les uns aux autres.

" Eh bien, il a réussi. C'est la dernière fois que j'accepte qu'on soit séparés aussi longtemps. "

- Comment va Hawa?

" Comme d'habitude. J'ai hâte que tu reviennes faire la cuisine. "

- Quoi? Tu n'aimes pas sa cuisine?

" Si bien sûr, mais je préfère mille fois la tienne. Je mangerais bien un plat trop salé de toi, plutôt qu'un plat bien assaisonné d'elle. "

- Donc, tu aimes sa cuisine? Reprit-elle sur un ton faussement accusateur.

" Eh bah t'as qu'à m'envoyer une glacière tous les jours si tu es aussi jalouse. "

- Bineta! Ça commence à être long! S'écria Limata depuis le salon.

- Un instant! Répondit-elle.

" Il y a un problème? "

- Non, c'est ma sœur, tu la connais.

" Mmh d'accord... "

- Raccroche avant que je ne saute dans le prochain vol pour le Sénégal.

" Tu le ferais? "

- Seulement si tu payes le billet.

Un dernier mariage d'éclats de rires s'écoula.

" Bisou ma chérie. "

- Bisou, murmura-t-elle avant de laisser un smack dans le microphone...

À peine avait-il raccroché qu'elle posait le téléphone dans le lit. Le sachet bruissa et elle en sortit le petit carton plus haut que large. Par le passé, elle l'aurait regardé avec crainte. Mais en ce jour, elle le regardait pleine de souhaits.

- Allez Bineta, un peu de cran, s'encouragea-t-elle.

***

À Ndar, Mamadou dînait seul, face à une série policière qu'il suivait à peine. Sa femme lui manquait et c'était tout.

Hawa, sa cousine au teint clair lui avait été confiée par son cher père. La jolie paysanne, quoi qu'un peu cucul, était «à la recherche d'un travail en ville». Mais en réalité, c'était plus un mari qu'elle était venue conquérir. Malheureusement pour elle et pour son oncle, Mamadou avait tôt fait de les démasquer. L'attitude béjaune de la villageoise lui avait mis la puce à l'oreille: lui vanter ses qualités de potentielle épouse, en allant dans des détails que même les adultes jugeraient impudiques, elle n'aurait pas pu faire pire.

En fin de compte, il avait proposé la payer, en tant que ménagère et cuisinière, le temps que ne rentre son épouse. Son père avait fortement désapprouvé cette idée, mais quand son fils était décidé, il était décidé. Il allait donc falloir que Bambouré explique à son cousin lointain qu'il avait failli à sa promesse de donner sa fille en mariage à son fils: cela lui apprendrait à prendre de telles décisions sans en avertir le concerné! Et pourtant, il pensait que la beauté, les rondeurs mais surtout la couleur de peau de Hawa auraient suffi à conquérir son alter égo en matière de belles femmes: il avait tout faux.

Mamadou n'était pas fan de l'idée d'épouser une seconde femme, encore moins illettrée. Il voulait d'une femme cultivée, peu importe qu'elle fût déracinée ou moderniste, une femme qui puisse lui parler une langue autre que le Soninké, une femme qui saurait lui tenir tête. Hawa était loin d'incarner la rébellion, c'était la photographie même de l'intrépide soumission.

Il lui avait également conseillé de se préparer à chercher ailleurs au retour de son épouse. Et d'ailleurs, il y repensait, Marcus se plaignait souvent de la nouvelle envie de son épouse d'engager une domestique: il n'aurait qu'à la recommander. Après tout, elle était douée pour s'occuper d'une baraque.

Mamadou n'oserait raconter combien son épouse et lui s'étaient marrés à propos du plan tordu de son père. Bineta ne craignait pas de se faire piquer son mari par Hawa. Primo, Mamadou n'était pas pour l'inceste. Et secundo, Hawa n'était pas, mais alors pas du tout son genre de femme.

C'était déjà la fin du mercredi.

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1: ma fille, en koulango, sur un ton familier et affectif

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant