10-Une mère aussi douce que le miel.

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- «Je n'en peux plus! Cette femme va me rendre complètement fou!» Hurlait-il sous le regard dépassé de sa mère, mais amusé de son père!

D'ailleurs, ce dernier ne tarda pas à se faire entendre.

- «Ha ha ha ha! Un vieillard couché, voit toujours plus loin qu'un jeune homme perché sur un arbre. Depuis le début, je t'ai toujours dit que cette femme n'est pas bonne pour toi. Mais tu ne m'as jamais écouté. Et aujourd'hui, voilà où nous en sommes.»

Mamadou dépité, passa ses paumes durcies sur son visage tendu et leva sa petite tête vers le ciel.

- «Mam, mon fils, viens t'asseoir». Lui proposa sa mère.

Elle était lettrée, mais par respect pour son mari, elle ne parlait jamais la langue des «xura¹» en sa présence. Ayant obtenu son baccalauréat, elle avait volontiers accepté de s'y limiter pour épouser Bambouré.

Sa mère, cette dame au voile noir, cette entité dont les traits faisaient plus penser à une musmé qu'à une Sarakholé. Cette yaqe², soumise à son époux comme un morceau de viande à un boucher. Et pourtant longiligne, son corps frêle renfermait une sagesse inestimable. Cette saaxe³, consolation de ses petits lorsque le coq de la basse-cour sévissait un peu trop.
Et encore, s'il y avait bien un caractère que Mamadou n'avait pas manqué d'hériter de son père, c'était cette incoercible obsession pour les femmes au teint clair. Le père était peut-être ce qu'il y avait de plus noir sur terre, mais ses trois épouses compétissaient jour et nuit - oui même la nuit! - avec le soleil. D'ailleurs, ce furent sans doute des gènes puissants de sa mère que Mamadou hérita, pour que sa complexion n'ait rien à voir avec celle de son père.

Telle la voix d'une sirène indomptable, nul ne put résister à la demande aussi noble d'une mère, pas Mamadou. Il adorait sa mère. Elle était sa première épouse, la plus belle, la plus importante, l'irremplaçable. Il obéit alors sans discuter.

Une fois le fils installé entre père et mère, cette dernière enroba ses doigts squelettiques autour de ceux de son premier enfant, le tout premier de la maison. Mais elle ne broncha point. Elle ne voulait surtout pas sembler porter la culotte alors que le chef était là.

Bambouré reprit alors.

- «Et maintenant, que comptes-tu faire?»

- «Je n'en sais rien papa. Je suis... Perdu.»

Il sentit la chaleur de sa mère se resserrer autour de ses doigts. Elle était pour lui, la meilleure ma* du monde.

Le père était peut-être strict, mais il connaissait tous ses enfants comme sa poche. Mamadou allait vraiment mal et ce n'était pas le moment de le sermonner à outrance. Plutôt compréhensif, n'est-ce pas?

Il adressa alors à sa deuxième épouse, un regard bien assez parleur: parle à ton fils. Tu es sa mère.
Oui! La deuxième épouse était la première à enfanter sous ce toit! Et d'ailleurs, la première n'avait jamais pu devenir mère.

Sira opina de la tête, comme s'il lui avait parlé avec les mots. Puis le père se leva, laissant mère et fils discuter entre eux. Les séances consolation étaient loin d'être son fort. Lui savait châtier, pas chouchouter.

- «Je vous laisse un moment, s'excusa-t-il. J'ai quelques deux trois choses à faire.»

Il les dépassa et se fondit derrière une vaste tenture chocolatée, frontière entre le salon et les autres pièces de la maison.

- Fils, reprit-elle en français, dis-moi ce qui ne va pas.

Sira était peut-être au courant, mais pas dans les détails comme le fut son époux. Il lui fallait tous les indices si elle voulait porter un bon jugement sur le sujet.

Mamadou raconta, il conta jusqu'aux quolibets cruels dont il avait fait l'objet la veille. Et alors qu'il était loin de s'y attendre, sa mère pouffa. Vexé, il ne sut pourtant pas montrer autre chose qu'un regard tendre à sa première épouse.

- Eh Dieu, Mam, excuse-moi mais avoue quand-même que c'est très drôle tout ça. Cette fille ne cessera jamais de me surprendre quoi.

Elle s'esclaffa quelques secondes de plus.

Ne sachant réagir à cette trahison, il déposa ses coudes sur ses cuisses et laissa son regard se perdre dans le vide de la porte qui menait droit au jardin.

- Mam, reprit-elle en lui câlinant le moignon de l'épaule. Mam, regarde-moi.

Encore une fois, il s'exécuta.

- Qu'est-ce que toi tu as envie de faire?

- Je n'en sais rien ma, comme je l'ai dit tout à l'heure, je suis confus.

- Non Mam, je veux dire, ce que tu as vraiment envie de faire.

Il sonda les yeux de sa mère et devina qu'elle le savait déjà.

- J'ai vraiment envie de sauver mon mariage.

- Alors fais-le.

- Mais comment? Ça va faire un bon moment déjà que j'essaie d'arranger la situation mais elle ne me facilite pas la tâche.

- Et pourtant tu es le seul à pouvoir résoudre ce problème. C'est ton mariage, pas le mien. Il y a forcément une faille quelque part, tout le monde a des faiblesses. Il arrive parfois que nos faiblesses soient en même temps nos forces, mais elles existent... Tu as dit qu'elle ne voulait pas tomber enceinte, mais as-tu cherché à savoir pourquoi?

- Je te l'ai dit, elle a peur que son corps change.

- Non Mam, je veux dire, la vraie raison qui la pousse à refuser... Crois-moi mon fils, je suis aussi une femme. Et je ne la connais peut-être pas entièrement, mais je la connais assez pour savoir que si elle a vraiment un jour manifesté l'envie d'être mère au point d'envisager des moyens artificiels, la raison qui la pousse à se refuser de porter une grossesse est bien plus profonde. Elle ne sacrifierait pas le bonheur de devenir mère juste pour une histoire d'apparence, j'en suis certaine.

Face à ces propos, le fils ramena son regard à cette même embrasure. Mais la mère ne perdit pas de temps pour le ramener à elle. Sira saisit son menton dans le creu de sa paume atrocement tendre. Tendre malgré sa quarantaine et les rudes tâches ménagères qui lui incombaient depuis bien des années.

- C'est ton mariage fils. Trouve le bémol de l'histoire et éradique-le. C'est ton mariage, ta vie, alors ne laisse personne décider pour toi. Personne, insista-t-elle.

Sira n'avait jamais donné son opinion à son fils, concernant cette décision d'épouser Bineta. Mais à travers ces mots, cette insistance pour qu'il ne laisse personne s'imiscer dans sa vie conjugale, il venait d'être sûr qu'elle avait toujours adhéré. Mais elle s'était rendue muette par sa soumission à Bambouré.

- D'accord ma, j'ai compris.

Elle dirigea vers lui sa minuscule bouche. Mamadou comprit qu'il devait baisser le front afin d'être béni par un baiser maternel.

- Et le bébé? Demanda-t-il ensuite.

Même si la grossesse était un sujet tabou dans leur région, Bambouré était encore le seul à y tenir dans la famille. Les autres n'en faisaient rien.

- Oh lui, répondit-elle tout sourire, une main soudainement portée sur ce gros ventre masqué par d'innombrables couches de tissu sombre... Il est très sage comme d'habitude. Il ne bouge pas beaucoup, mais par contre, il mange beaucoup!

Cette précision arracha un fin sourire au futur grand-frère. Ses parents n'avaient pas voulu connaître le sexe du bébé avant la naissance. Bambouré avait déjà autant de garçons qu'il aurait pu rêver, il s'en fichait.

Soudain! Une grosse vague de cris interrompit le silence dans sa tranquillité.

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1: blanc, par allusion à la race blanche(Soninké)
2: épouse(Soninké)
3: mère(Soninké)
*: maman(Soninké)

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant