37-Une nouvelle grossesse non désirée?

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Réveillée très tôt comme à son habitude, Karidja s'occupait déjà de faire briller les carreaux.

Mamadou et son épouse la trouvèrent à la tâche. Les politesses du matin furent échangées et Bineta prit la direction de la cuisine, Karidja avait préparé une bouillie de mil accompagnée de beignets sucrés. Sans qu'elle ne s'en rende compte, Mamadou la suivit.

- Je pensais que tu allais attendre à table.

- Tu comptes aller la voir quand?

- J'ai dit que je la verrai aujourd'hui. Alors je la verrai.

- Après le petit-déjeuner?

- Je n'en sais rien.

- Bin...

- Mamadou!... S'il te plaît, ne me mets pas la pression.

Elle se saisit de deux bols en porcelaine, déposa leurs fesses dans les soucoupes et glissa une cuillère dans chacune d'elles.

Mamadou demeurait immobile, la regardant aller et venir, remplir les tasses de bouillie, aligner quelques deux beignets dans un plat, déposer le tout dans un plateau et reprendre la porte de la cuisine sans lui adresser le moindre mot.

Mais grande fut la surprise de Bineta, lorsqu'elle tomba sur sa sœur aînée, Salimata, une dame grande et chocolatée, avec un bon monde au balcon, vêtue d'une combinaison cousue dans du wax hollandais. Le premier bouton, bien que fermé laissait place à un hypocrite décolleté, tandis que les manches à volants laissaient à peine paraître sa petite montre en argent. Le pantalon Wide leg laissait paraître la tête des sandales à talon qui la grandissaient de quelques centimètres.

Une tension s'installa aussitôt dans la pièce. Salimata en voulait à sa sœur, et par ricochet à son beau-frère qui venait de franchir le seuil de la cuisine. Salimata les foudroya du regard et les dépassa.

- Ne t'inquiète pas grande-sœur, je vais lui parler, la rassura Idja.

La tête de Bineta fit un geste d'approbation, puis elle se dirigea vers la table à manger sur laquelle elle vida le plateau.

Le temps s'écoulait à sauts d'antilope, et Bineta n'était toujours pas allée voir sa mère. Toute la journée, Salimata était restée à son chevet. Idja allait et revenait, mais toujours aucun signe de Bineta.

Mamadou l'observait sans réagir, et Idja ne savait plus quoi dire. Quant à Limata, elle ne voulait rien savoir venant de Bineta ou de son époux: elle aurait même voulu qu'ils rentrent chez eux, au lieu de venir «jouer les hypocrites».

Mamadou était assis dans le lit, les jambes allongées, son ordinateur portable sur les cuisses.

Les va-et-vient de son épouse lui donnaient presque le tourmi. Elle fouillait leur valise de fond en comble, allait dans la salle d'eau puis en ressortait. Son anxiété se lisait sur son visage et elle semblait avoir perdu quelque chose de bien précieux.
Il avait envie d'intervenir, de lui demander la raison de son affolement, mais franchement, il commençait à ne plus savoir comment s'y prendre avec cette dame.

Puis au nom de l'amour, il claqua son PC et posa la question.

- Qu'est-ce qui ne va pas Bineta?

Elle s'arrêta dans sa course. La mine froncée, elle s'effondra.

- Bineta! S'écria-t-il en jetant l'appareil sur le côté! Bineta!

Il s'agenouilla près de son épouse qui n'avait heureusement pas perdu connaissance. Il la soutint par la tête et elle agrippa son maillot.

- Bon sang Bineta, et pourtant je n'arrête pas de te dire de manger correctement. Regarde un peu l'état dans lequel tu es maintenant.

- Je les ai laissées à la maison, souffla-t-elle.

- De quoi tu parles?

- Mes pilules Mam, je les ai oubliées.

Elle n'était pas particulièrement attachée à ces bouts de drogue, mais le sous-entendu de leur absence dans son corps depuis bientôt quarante-huit heures lui faisait peur.

Sans lui répondre, Mamadou la porta dans le lit.

- Tu penses... Tu penses que je pourrais être enceinte?

- Ce ne serait pas plutôt à moi de te poser la question? L'infirmière ici, c'est toi.

Elle croisa ses mains sur son ventre et laissa sa tête se reposer sur le côté. Elle n'avait jamais été aussi inquiète.

- Je vais te chercher un truc à manger, je reviens.

Elle n'avait pas tout à fait tort de trembler. Depuis plus d'un demi-mois que leurs chairs s'étaient reconnues, il y avait eu bien assez de rediffusions du feuilleton. Et si aucune contraception n'était cent pour cent efficace, rater les prises ne risquait pas d'arranger la situation.

Tous les calculs possibles se dessinaient dans son esprit. La probable durée de vie des gamètes mâles dans son corps, et celle de son ovule. Son cycle était sans foi ni loi. Elle avait pu pondre à n'importe quel moment ou alors allait-elle le faire le lendemain, le surlendemain, peut-être même était-elle en plein dedans? L'intervalle de temps cadrait parfaitement. Les fécondeurs les plus récents se baladaient en elle depuis déjà près de vingt-quatre heures.

À bien y penser, elle portait peut-être déjà un embryon en son sein, tout avait pu arriver entre les un et deux mois qui avaient précédé le mardi de la réconciliation, la pilule avait peut-être déjà failli depuis le temps. Son vertige n'était peut-être qu'un signe de grossesse et non de carence nutritionnelle. Trop de peut-être.

Mamadou revint muni d'un plateau garni de pain ghanéen et de confiture.

Il l'aida à s'asseoir dans le lit et s'installa face à elle, de manière à ce que les jambes de la dame enchaînent sa taille. Le plateau se retrouva à l'intersection de leurs cuisses.

Elle avait faim. Depuis la petite quantité de bouillie du matin, elle avait décidé de faire ses caprices. Le dîner n'étant pas encore prêt, il fallait faire avec ce qu'ils avaient sous la main.

Elle se laissait nourrir sans protester. Parvenus au milieu du repas, il lui accorda une pause.

- Tu veux faire le test?

Avait-elle le choix? Le seul moyen de dissiper ses doutes était bien celui-là.
Face au silence de sa femme, il poursuivit comme si elle avait dit oui.

- Je t'en prendrai un demain matin.

Et elle opina de la tête.

- Tu te sens mieux maintenant?

Elle opina encore de la tête.

Il retira le plateau, le posa sur la table de chevet et ressortit de la pièce.

- Je reviens.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant