31- Oser me trahir avec ma propre sœur!

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Comme tous les dimanches soirs, le couple s'était imposé un coucher précoce. Personne n'avait pleuré ce soir.

Allongés en petite cuillère, les deux époux échangeaient leur chaleur. Sentant des frémissements assourdis à distance de ses oreilles, il se tourna et se rendit compte qu'il avait oublié de mettre son téléphone sur silencieux.
Il se décolla de son épouse et s'empressa de récupérer le téléphone.

Il était à peine vingt-deux heures. Et encore une fois, cet appel le fit frissonner. Il se retourna sur son cou, s'assurant qu'elle n'était pas réveillée. Pas de mouvements, pas de bruits, il devait être sûr de son coup.

Il se leva, franchit la porte sans se chausser et revérifia une dernière fois que sa dame était bien endormie. Il gagna aussitôt son cabinet et referma derrière lui.

- Allô?

- Ah enfin tu réponds. Je me suis inquiétée. Tout va bien?

- Oui, ne t'inquiète pas. Je ne pouvais juste pas décrocher ton premier appel.

- D'accord... Je sais que j'appelle tard mais... J'espère que je ne te dérange pas.

- Non non, pas du tout. Il n'y a pas de quoi en faire un drame.

- Hum... Tu m'as l'air triste, il y a encore un autre problème, c'est ça?

- J'en sais rien... Je...

Alors que la discussion se poursuivait dans la pièce, Bineta remarqua l'absence de son époux dans leur lit. Une grande surface de chaleur l'avait trop longtemps abandonnée.

Elle l'interpella à plusieurs reprises mais n'obtint point de réponse. Elle vérifia dans la salle de bains puis disparut dans le couloir. Mais au moment où elle atteignait les marches, elle perçut une voix et revint sur ses pas. Ces ondes lui venaient du bureau de son Mamadou.

Plus elle s'en approchait, plus elle distinguait les mots. Au début elle n'y comprenait pas grand chose. Elle devinait juste qu'elle était le sujet de la discussion.

Elle recevait quelques fragments de la voix au bout du fil. C'était celle d'une femme. Bineta se concentra de plus bel sur l'épaisseur de bois qui lui faisait barrage. Si son époux avait une maîtresse, elle voulait en avoir le cœur net. Le mettre dos au mur et ne surtout lui laisser aucune chance de s'en tirer avec des mensonges.

- Mais non, biensûr que non.

"..."

- Oui, je te comprends parfaitement.

"..."

- Je te promets de faire tout mon possible.

"..."

- Oui mlle, à vos ordres. Allez, faut que je te laisse maintenant. Faudrait pas qu'elle se réveille et ne me retrouve pas. Ça risque de jazzer sinon.

"..."

Étrangement, Bineta semblait reconnaître la voix de la femme dans l'appareil. C'était tout sauf une maîtresse.

- D'accord Karidja, passe une excellente nuit. Je te reviens dès que j'ai réussi à la convaincre.

"..."

Frustrée, Bineta se décolla de la porte, attendant patiemment que son époux ressorte.

- Tu n'es qu'un traître.

- Chérie...

- Non ne me touche pas.

- Bineta écoute-moi...

- Je t'ai dit de ne pas me toucher!

La vitesse de ses pas n'empêcha pas Mamadou de la rattraper, la devancer et lui faire office de barrage. Dur dur d'avoir de petites jambes.

- Bineta, écoute-moi.

- Et je t'ai dit que je ne voulais pas que tu me touches!

- Je suis ton mari Bineta! Et je te touche si j'en ai envie!

Choquée de voir qu'il osait l'affronter au lieu de se répentir, elle s'enfonça dans un silence contrarié.

- Bineta j'en ai marre, tu comprends? J'en ai marre de te voir pleurer à longueur de journée! J'en ai marre de te voir triste à longueur de journée! J'en ai marre de chercher comment t'aider sans jamais trouver! Je veux récupérer ma femme!

- Et qui suis-je moi? La maîtresse? Riposta-t-elle d'une voix presque étouffée.

- Non, répondit-il avec douceur. Mais tu n'es pas... Ma femme. Ma femme, elle est forte, vaillante et même téméraire. C'est une femme qui n'a pas peur des problèmes, c'est une femme qui n'a pas peur d'affronter. Elle serait capable d'en venir aux mains avec moi, juste pour défendre sa cause, aussi tordue que puisse être cette dernière d'ailleurs... Ma femme Bineta, serait rentrée chez elle pour affronter la mort de sa mère.

- Cette femme n'est pas...

- Mais biensûr qu'elle est ta mère.

- Non.

- Que tu le veuilles ou non... Même si elle a fait des choses atroces, même si elle a essayé d'en finir avec toi, elle t'a portée pendant sept mois. C'est peut-être moins que la normale mais elle t'a quand-même portée. Et te mettre au monde à un tel stade de sa grossesse était tout aussi risqué pour elle. Cette femme Bineta, t'a donné la vie, elle t'a nourri au sein, elle t'a donné ton bain. Elle aurait pu te noyer l'un de ces jours mais elle ne l'a pas fait. Elle t'a laissé la vie sauve Bineta.

- Oui biensûr, pour se donner un malin plaisir à me persécuter par la suite.

- Je m'en fous... Tout ce que je sais, c'est que c'est grâce à cette femme que je t'ai connue. Si aujourd'hui je suis l'homme le plus heureux du Sénégal, c'est parce que ta mère a un jour existé... Alors, tu vas prendre sur toi, tu vas ravaler ta douleur et ta fierté, et tu vas aller la voir pour écouter ce qu'elle a à te dire.

- Je ne veux rien entendre venant d'elle.

- Et pourtant tu vas devoir. Ta petite-sœur m'a fait comprendre que ta mère voulait te demander pardon.

- Ma petite-sœur est très maligne. Elle a très bien pu inventer cette histoire d'excuses juste pour me pousser à venir.

- En tout cas, moi j'ai été convaincu. Alors fais-toi une raison.

- Je t'interdis de décider à ma place.

- Et moi je... Non Bineta, je t'interdis de pleurer.

Le Niagara avait déjà fui l'Amérique pour se réfugier dans ses petits yeux noirs. Elle avait lutté contre les larmes mais n'en pouvait plus. Les mots de Mamadou faisaient mal là où il ne fallait pas, et pourtant, ils étaient d'une vérité incontestable.

Son mari l'attrapa par les épaules et bloqua sa tête contre sa poitrine. Il aurait aimé étouffer ces sanglots. Il y était peut-être allé un peu trop fort, pensait-il. Mais il avait perdu le Nord. Pour lui, il fallait faire quelque chose. La situation ne pouvait pas demeurer ainsi.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant